Y a-t-il trop de fonctionnaires en France ?
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Le titre de l’article évoque sans conteste pour les candidats et lauréats des concours de la fonction publique, une question type et piège des membres de jury à l’oral.
Plus récemment, il évoque des articles de presse généraliste, à l’approche d’un serrage de ceinture.
Alors y a-t-il trop de fonctionnaires en France ?
Oui et non.
Le « oui » est défendu par les tenants actuels de la réduction de la dette publique et les contempteurs toute catégorie de la fonction publique jugée trop coûteuse.
Surtout au regard des résultats: pour l’Éducation nationale, un bac bradé, des professeurs parfois peu motivés voire médiocres (à certaines éditions du capes de mathématiques, les derniers postes ne furent finalement pas créés faute de candidats suffisamment bons); pour la justice, des délais anormalement longs pour une première audience de jugement; pour la police, la difficulté de porter plainte un dimanche.
Ce « oui » est naturellement et légitimement amplifié par les rapports réguliers de la Cour des comptes. Le dernier en date souligne les dérives financières de l’autorité administrative indépendante qu’est la HALDE, dont la gestion par son ancien président, M. Schweitzer, ne manque pas d’interpeller les auditeurs de la juridiction financière: montant du loyer au double du prix du marché, inflation du nombre de salariés. Quand on sait qu’il existe plus d’une cinquantaine d’autorités indépendantes…
Mais le « oui » paraît particulièrement indécent dans le contexte de la crise apparue depuis 2008. Si la France a connu dans son avant dernier budget (2009), un déficit budgétaire record, qui représente 7,6 % du PIB (soit 138 milliards d’euros) contre 3,4 % en moyenne, les années précédentes, est-ce à cause des fonctionnaires ?
Bien évidemment, non. Les institutions bancaires sont les principales responsables.
Alors y a-t-il trop de fonctionnaires ?
Non. Contrairement à ce qu’affirme l’article précité, l’augmentation du nombre de fonctionnaires n’est pas si flagrante que cela. Car répondre à la question du titre suppose de définir une fois pour toute le périmètre de la fonction publique. Personne n’a jamais pu le faire.
La vieille jurisprudence administrative qu’ont connu des générations d’étudiants, relative aux SPA et aux SPIC, les décisions Dame Veuve Mazerand jusqu’à l’arrêt Berkani sont fondés sur cette ambiguïté fondamentale: jusqu’où va le service public ? (On rappelle au lecteur étourdi, que dans les décisions citées, il y a à l’origine, un agent contractuel qui travaille pour un service public; un accident intervient; on se demande alors quel est le statut de l’agent pour pouvoir l’indemniser).
De fait, le contour de la fonction publique en 1900, 1945 et aujourd’hui est radicalement différent: ne serait-ce que par la démographie, on a besoin de plus de fonctionnaires dans un pays de 63 millions d’habitants que dans un pays à 40.
Ensuite, parce que chacun sait que nous avons évolué entre 1930 et aujourd’hui, d’un État régalien vers un État-Providence. La France de 1944 ne connaît ni Sécurité sociale, ni RSA, ni ANPE, ni autorités administratives indépendantes, ni CNIL; elle délivre péniblement 40 000 diplômes de baccalauréat.
66 ans plus tard, 15 fois plus de lycéens sont bacheliers, « l’État prédateur » selon la formule de l’économiste Hayek s’occupe d’un peu tout: du logement étudiant (même à dose homéopathique), des bourses étudiantes, de l’aide aux personnes âgées, des archives départementales, de la gestion des routes, de la construction des écoles, des collèges, des lycées, des universités.
C’est une évidence qu’avec un État-Providence, le nombre de fonctionnaires croît nécessairement. Quand on créé l’absurde droit au logement opposable, on créé en même temps une paperasserie inutile qui engendre des recrutements.
La fonction publique n’est ni bonne ni mauvaise: elle est nécessaire. Il est donc facile, contradictoire et excessif d’attaquer sa politique de recrutement et de dénoncer ensuite des dysfonctionnements. L’article du Figaro précité est particulièrement représentatif de cette attitude, qui plus est ignorante des réalités du terrain. Prenons la fin de l’article:
« Autre conclusion du rapport 2009-2010 sur l’état de la fonction publique: les collectivités locales ont continué à recruter à tour de bras avec près de 70.000 créations d’emplois en 2008. La fonction publique territoriale emploie désormais 1,82 million de personnes. Un total supérieur de 3,9% à celui de 2008 et, surtout, une envolée de 40% par rapport à 1998. Cette hausse vertigineuse est en partie liée à la deuxième loi de décentralisation intervenue en 2003. Les régions – qui n’emploient que 4% de l’ensemble des fonctionnaires territoriaux – ont été particulièrement gourmandes en emplois publics puisqu’elles ont vu leurs effectifs bondir, sur une décennie, de 22,5% en moyenne chaque année et même de 49% par an depuis 2005. Dans plus d’un cas sur quatre, les recrutements intervenus les trois années antérieures à 2008 n’avaient rien à voir avec des transferts de compétences de l’État ».
La dernière phrase est pour le moins réductrice. Prenons en effet le cas exemplaire de l’Éducation nationale: on réduit les effectifs des professeurs (écoles, collèges…), on demande la polyvalence. Dans le même temps, chacun est conscient des résultats inquiétants dès l’école primaire (entre 10 et 25 % des enfants ne savent pas lire en entrant en 6e).
Conséquence, les collectivités territoriales se substituent à la fonction publique d’État: les projets de réussite éducative, portés par les collectivités (Conseil général), nécessitent la création de postes de fonctionnaires. C’est le principe de déshabiller Paul pour habiller Pierre…Voilà comment, sans que la loi ne le prévoit, des transferts de compétence se réalisent avec leurs lots de création de postes.
Le débat, stérile, continuera donc toujours. Et on pourra toujours accuser les fonctionnaires de peser sur l’équilibre des finances publiques.
Évidemment, on pourrait s’en prendre au PDG de Goldman Sachs, avec ses 60 millions d’euros de revenus annuels. On pourrait s’interroger sur les liens d’un commissaire européen, ex-commissaire à la concurrence, grand apôtre de la libéralisation à outrance, Mario Monti, également affidé de la banque précitée. On pourrait aussi se demander si les responsables d’une crise financière ne doivent pas être les premiers à la payer cash.
Mais en temps de recherche effrénée d’économies, la solution la plus rapide est de s’en prendre à un « mammouth » lent à réagir. C’est bien connu: « les fonctionnaires, il y en a trop ». Le pluriel indéfini a l’habitude d’entretenir les résignations et l’avantage de ne nommer personne en particulier. Selon que vous serez puissant ou misérable…
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