L’apéro facebook des retraites
Édito par Bonfons de Cruchot
Mercredi dernier, sans fanfare ni trompette, le gouvernement a annoncé la fin de la retraite légale à l’âge de 60 ans. En toute hypothèse, il faudra cotiser non plus 37,5 ans (durée légale avant la réforme Balladur pour le secteur privé) ni 40 ans (actuellement), ni 41 (durée initialement prévue pour 2011 ou 2012) mais bien 42 ou 43 ans.
Notre propos ne sera pas ici de défendre vaillamment une justice sociale qui pour l’instant fait fi des inégalités des métiers: les professions en col blanc ont une espérance de vie à 60 ans, de près de 20 ans, contre 14 pour les ouvriers. Nous proposerons seulement un petit calcul à effectuer et une réflexion à en tirer.
Le petit calcul rappellera des souvenirs aux épargnants adeptes de Plan Epargne Logement. La question est: combien d’argent y aura-t-il sur mon livret au terme de tant d’années, sachant que j’ai un taux d’intérêt fixe et que je fais un versement chaque année (ou chaque mois) ?
Mettons que vous versiez 540 euros par an au début de l’année, à un taux de 2 %. Vous avez prévu de laisser cet argent au terme du plan, soit huit ans. Vous vous demandez: combien aurai-je au bout de huit ans ?
Si, pour simplifier, à l’ouverture du plan, aucune somme minimale n’est exigée, vous aurez donc au bout d’un an, le capital (540 euros) et les intérêts (2 % par an), soit, 10,8 euros.
À la fin de la 2ème année, la somme totale sur le livret est constitué des nouveaux versements (540 euros) plus le capital de la 1ère année et ses intérêts (540 + 10,8) plus enfin les intérêts sur la somme totale de la 2ème année, soit 2 % sur (540 + 540 + 10,8), c’est à dire que vous disposez au final de 1112,6 euros. Il faudrait faire le calcul pour huit ans: c’est laborieux.
Or il existe un outil qui vous simplifie le travail: les mathématiques. En l’espèce une formule. Soit CA, le capital acquis au terme du placement (ce que l’on cherche à savoir), soit CV, le capital versé régulièrement, soit t, le taux d’intérêt et soit n la période de placement exprimée en années. La formule qui vous donne directement la réponse est:
CA = CV x [((1 + t)n+1 – 1)/t – 1]
Compliqué ? Prenons notre exemple.
CA = 540 x [((1 + 0,02)8+1 – 1)/0,02 – 1]
Soit: CA = 4 727,5 €.
Maintenant quel rapport avec les retraites ? Prenons ce bulletin de salaire d’un cadre, obligeamment fourni sur le site de l’Arrco et l’Agirc. Avec un salaire brut de 3 450 €, un cadre se retrouve avec un salaire net de 2713 €. L’évaporation salariale est due notamment au prélèvement social correspondant « à la retraite », c’est à dire la cotisation prélevée sur le salaire du cadre et servant à verser les actuelles pensions des retraités. Le tout (retraite + retraite complémentaire) est de 358 € (arrondi au supérieur).
Supposons que, par extraordinaire, un(e) jeune diplômé(e) entre directement dans la vie professionnelle avec un statut de cadre et ce salaire de 3 450 euros bruts, après, quand même, l’indispensable « bac + 5 » d’aujourd’hui et une période de stage. Son âge est de 24 ans. Il lui sera nécessaire de travailler environ 43 ans et de verser ainsi sa cotisation retraite. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
S’agissant d’un cadre, son espérance de vie, au moment de prendre sa retraite à 67 ans vers 2053, sera d’environ 20 ans (actuellement, ce serait plutôt 16 ans, mais avec les progrès de la médecine en 2053…). Pendant 20 ans, il pourrait donc toucher une retraite, correspondant, d’après les critères actuels à 50 % de sa rémunération pendant ses 25 meilleures années.
Difficile de prévoir, alors faisons une moyenne: d’un côté, notre cadre devrait progresser et toucher un meilleur salaire au fil du temps. De l’autre, il est tout à fait hasardeux de considérer aujourd’hui que l’on peut travailler 43 ans d’affilée, sans jamais être concerné par un quelconque accident: licenciement et chômage de plus ou moins longue durée, accident du travail, maladies en tout genre…risque d’année sabbatique.
Alors, considérons que notre cadre touchera toute sa vie la même rémunération mais ne connaîtra jamais une des situations indiquées. Il travaillera, vaille que vaille, 43 années.
C’est là que notre préambule mathématique va enfin nous servir. La question est la suivante: ayant cotisé pendant 43 ans, à raison de 358 € par mois, soit 4 290 € (prise en compte du calcul sans arrondi, soit, 357,53 x 12) par an, il a versé ainsi en 43 ans: 184 485 euros.
Il touche maintenant, dès sa 68e année, la moitié de sa rémunération, au titre de sa pension de retraité, soit, 1 356 euros. Pour qu’il « rentabilise » ses cotisations, il faudrait donc qu’il soit à la retraite au moins 11 ans. Puisqu’en principe, notre cadre a une espérance de vie de 87 ans, il « gagne » ainsi 9 ans, c’est à dire que l’ensemble des pensions qu’il touche de 78 à 87 ans excède ce qu’il a versé pendant toute sa vie de labeur.
Bon relativisons déjà quelque peu: 1 356 euros aujourd’hui, cela ne permet pas de louer l’appartement parisien dans lequel notre ex-président Jacques Chirac coule assez paisiblement ses vieux jours (10 000 € de loyer mensuel parait-il….).
Maintenant, essayons de voir ce que notre cadre aurait pu faire, s’il n’avait pas eu l’obligation de cotiser: c’est là que nous utilisons la formule mathématique. À supposer que notre cadre, au lieu de devoir verser ses 358 euros de cotisation obligatoire, puisse les économiser et les placer lui-même dans la perspective de ses vieux jours, il choisit un livret d’épargne.
Admettons que la moyenne de rémunération du livret sur 43 ans soit de 3 % (actuellement des assurance-vie rémunèrent à ce taux, alors que le livret caisse d’épargne est à 1 % et des poussières, et le PEL à 2 % et quelque, des taux historiquement bas. On a connu des PEL à 6 % nets…autant dire que le taux moyen de 3 % sur 43 ans n’est pas excessif).
Appliquons la formule, pour savoir, combien, au bout de 43 ans, notre cadre aurait pu accumuler d’épargne:
CA = 358 € x12 mois x [((1 + 0,03)43+1 – 1)/0,03 – 1] = 378 256 €.
À l’âge de la retraite légale, 67 ans, notre cadre disposerait donc de deux fois plus d’épargne. Première remarque: à supposer qu’il veuille toucher 1 356 euros par mois, il pourrait alors tenir 23 ans , soit plus que ce que permet actuellement le régime, et sans que cela soit au détriment des plus jeunes générations (qui comblent le déficit).
Deuxième remarque: la remarque précédente est fausse car en réalité, si notre cadre ne touche pas à son pactole, celui-ci continue à augmenter, cette fois-ci, au rythme d’un classique rendement de livret A. C’est à dire que les 378 256 € toujours placés à 3 % continuent à rapporter des intérêts, la différence étant l’absence de nouveaux versements, puisque notre cadre ne travaille plus.
Conséquence, si ce dernier prélève exactement 1 356 € au titre de sa pension qu’il se verse à lui-même, il gagne environ 11 000 euros d’intérêts quand il en prélève 16 272 par an. À ce rythme, il pourrait donc tenir près de 50 ans…Assez logiquement, il pourrait décider de doubler le montant de sa pension qu’il se verse et prélever près de 2 500 €, soit sa rémunération quand il travaillait, et ne connaître aucun problème de fin de mois en attendant sa fin tout court.
Quelle conclusion tirer de cette analyse largement défavorable à notre système de retraite ? À mon sens, il révèle d’abord une faillite de la gestion du régime des retraites. Qu’a-t-on fait du trésor faramineux de l’ensemble des cotisations des travailleurs de la génération du baby-boom ? De 1945 à 1975, il y a alors peu de retraités, une espérance de vie plus faible et en termes relatifs une masse plus importante de cotisants. Songez par surcroît que la fixation de l »âge de la retraite légale à 60 ans ne date que de 1981.
Ainsi en 1975, il y avait 4 millions de retraités pour 13 millions de cotisants: c’est le point de rupture, puisque dès lors le rapport cotisant/retraité ne cesse de baisser. Mais de 1945 à 1975 ? Par définition, il y a excédent du montant des cotisations récoltées par rapport aux pensions versées.
Deuxièmement, l’analyse montre que l’attachement au régime de retraite est symptomatique d’une fracture générationnelle: les jeunes générations savent pertinemment que la retraite relève plus du mythe pour elle que de la réalité. Même avec de beaux progrès scientifiques qui soi-disant nous permettent « d’être jeunes, plus vieux », peu de gens veulent travailler jusqu’à 70 ans. Pourtant, le discours officiel martèle le « devoir de solidarité » et l’obligation de cotiser sans espoir.
Pour la « génération X et Y », la cotisation de retraite s’analyse donc plus en un impôt supplémentaire qu’en une cotisation: elle n’aura rien en retour en 2053. Mais elle paie comptant aujourd’hui. La question des retraites est déjà réglée pour elle: à la fin de chaque bulletin de salaire. Est-ce vraiment un sujet de préoccupation ?
Au contraire, pour les quinquagénaires d’aujourd’hui, les hommes de pouvoir, à l’image du Président ou des Sénateurs, la retraite est un enjeu important pour eux: ils veulent savoir combien ils vont prélever bientôt sur les cotisants, ils veulent rassurer tout ce réservoir électoral des plus de 60 ans en leur garantissant leurs actuelles pensions (16 % de la population a plus de 65 ans en 2010).
D’un côté une population jeune sans retraite avant 70 ans, de l’autre, une population senior aux maigres pensions.
D’un côté un discours officiel défendant un système de retraite, de l’autre, des calculs simples qui l’accusent.
La retraite par répartition, c’est finalement un apéro facebook: personne ne sait comment c’est organisé et tout le monde trinque.
Et si le système par répartition avait été mal calculé ?
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