La démission du Premier Ministre François Fillon
Le Premier ministre: une nécessité
En ce mois de 1661, l’affliction, la reconnaissance et le respect se disputent la place dans le cœur de Louis XIV.
Son ministre principal, Mazarin, vient de passer de vie à trépas.
La disparition d’un tuteur, d’un protecteur, d’un presque père de substitution laisse le jeune monarque de 23 ans aux commandes de l’État le plus peuplé d’Europe.
Habitué aux vicissitudes d’une existence royale, jeune homme rompu aux exercices des armes et de la guerre, marqué depuis longtemps par la trahison des Grands, le petit-fils d’un roi assassiné ne peut afficher ouvertement ses sentiments. Mais ceux-ci sont-ils exclusivement empreints de tristesse ?
Quand on veut vivre sans entraves, les conseils d’un vieillard de 56 ans semblent bien désuets. Quand on aspire à la liberté du pouvoir, les paroles d’un cardinal résonnent comme autant de sermons politiques. Quand une imagination aventureuse porte le jeune roi aux projets les plus audacieux, toujours lui barre la route, subtilement et implicitement, la figure tutélaire de Mazarin.
À sa disparition, Louis XIV perd un mentor mais gagne une complète liberté. Jamais plus, le monarque n’élèvera quiconque à ce rang de principal ministre. Aucun favori, aucun Grand, aucun ministre, fût-il talentueux, n’accèdera au cours de son règne à cette place qu’occupèrent Richelieu sous Louis XIII, Sully sous Henri IV.
Brutalement, la dynastie des ministres principaux, ancêtres de nos Premiers ministres, s’interrompt. Une parenthèse de 54 ans s’ouvre avant que ne renaisse la tradition, avant que le cardinal Dubois ne soit l’officieux mais efficace principal ministre du régent Philippe d’Orléans, avant que le cardinal Fleury ne dispense ses conseils à Louis le Bien Aimé, avant que Louis XVI ne se repose brièvement sur un Maurepas.
Par la suite, à l’exception de la brève période révolutionnaire (1789 – 1799) et des deux empires (1804-1815 et 1852-1870), soit à peine 40 ans en tout, les régimes suivants connurent tous l’équivalent d’un ministre principal ou Premier ministre ou Président du Conseil, membre par définition du pouvoir exécutif et de plus responsable politiquement devant l’Assemblée parlementaire.
Ainsi, les Présidents du Conseil de la IIIe République sont responsables devant la Chambre des Députés, tous comme leurs successeurs sous la IVe République. Bien avant, les ministres principaux de la Restauration durent batailler ferme parfois même contre leur majorité parlementaire.
La figure du Premier ministre n’est donc pas une invention de la Ve République. Celle-ci en a seulement fixé le nom. Et la réalité de la fonction a souvent dépendu souvent de son titulaire.
Or depuis 2007, comme en 1661, une éclipse de pouvoir enveloppe temporairement cette charge ambigüe.
Une éclipse de la fonction de Premier Ministre
C’est en effet par ce paradoxe que le rôle de Premier Ministre se comprend: il faut qu’il disparaisse pour qu’on en comprenne l’importance.
Son absence lors du règne « personnel » de Louis XIV avait ainsi souligné l’absolutisme royal. Or presque quatre siècles plus tard, la même éclipse provoque le même déséquilibre.
La relégation du poste de Premier ministre au statut de simple « collaborateur » ou « d’exécutant » a été un préalable à ce que d’aucuns ont appelé une « hyperprésidence » qui n’est en réalité qu’une présidentialisation du régime.
En 2007, à l’accession de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République a correspondu une époque sans précédent d’effacement du Premier ministre.
Si la Ve République a connu, hors régime de cohabitation, des Premiers ministres en retrait, peu ont été aussi rapidement et violemment rejetés en dehors des grandes questions politiques. Le premier Premier ministre de la Ve République, Michel Debré, eut toute latitude pour mener à bien les importantes réformes intérieures: de la justice (réforme des institutions et de la carte judiciaire) à l’éducation (réforme de l’âge minimum pour quitter l’école, multiplication des collèges), du contrôle des prix aux questions agricoles.
Même les Premiers ministres réputés pour leur absence d’ambition politique démesurée, tel Pierre Messmer, eurent une très large influence politique, en l’occurrence sur l’équipement nucléaire civil de la France.
Même les Premiers ministres dits « de la société civile », tel Raymond Barre, nommé pour ses compétences en économie, alors qu’il n’est pas politiquement très engagé, disposeront d’une très large autonomie.
Même les Premiers ministres rivaux du Président, sauront conduire des réformes non négligeables, tel Michel Rocard, qui estimera avoir été constamment empêché par François Mitterrand; mais cette opposition entre gens de même parti, ne sera pas de nature à faire obstacle au lancement du RMI (qui durera presque 20 ans) ou au rôle de premier plan de Michel Rocard dans la résolution du conflit néo-calédonien.
Plus proche de nous, un Premier ministre encore inconnu hier, bientôt brocardé pour sa communication assez absconse, auteur de formules malencontreuses (« la France d’en bas »), Jean-Pierre Raffarin – que certains de ses détracteurs, furieux de se voir voler la place de Premier ministre surnommèrent « RaffaRien » – fut l’auteur de l’un des bouleversements politiques au travers de l’acte II de la décentralisation.
Quid de François Fillon ?
Pourra-t-on l’associer à une réforme ? Aura-t-il pesé d’un véritable poids sur le cours des événements ? Peut-on dire qu’il eut en trois ans un rôle déterminant ?
Si l’on se pose ces questions, c’est parce qu’il est fort probable qu’il vit ses dernières heures de Premier ministre. Le climat délétère des affaires et la nécessité d’aborder la réforme des retraites avec une équipe neuve et de choc signent avec une forte probabilité le départ annoncé de François Fillon.
Mais qu’importe au fond que le scénario se réalise et que le Premier ministre présente sa démission en septembre ou en 2011 ou pas du tout.
Tout se passe comme si depuis 2007, son apparente inaction avait fait de lui un Premier ministre déjà démissionnaire.
Sa démission bientôt ne serait que la régularisation de sa situation depuis trois ans: il a bel et bien démissionné, en se résignant à jouer des rôles de porte-parole, de relais transitoire, de soutien politique. Mais pas un rôle de Premier ministre, contrepoids ou poids tout court dans un gouvernement censé s’occuper des affaires intérieures en priorité.
Pourtant, la Constitution, même révisée en 2008, lui laissait une marge de manœuvre considérable.
Les pouvoirs du Premier Ministre
En effet, le Premier ministre dispose de larges prérogatives.
Au titre de chef de gouvernement, le Premier ministre :
- détermine et conduit la politique de la Nation.
- dirige l’action du gouvernement.
- rassemble la majorité parlementaire et est responsable devant le Parlement.
- supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence de certains conseils et comités, notamment le Conseil des ministres.
- peut saisir le Conseil constitutionnel.
- dispose d’un pouvoir de proposition en matière de révision constitutionnelle.
- peut demander la convocation d’une session extraordinaire du Parlement.
Il convient de noter que le Premier ministre, malgré son rang, ne peut être considéré comme un supérieur hiérarchique donnant des ordres aux autres ministres. C’est pourquoi, il est d’usage de dire que sa mission recouvre :
- une fonction de coordination. En effet, il revient au Premier ministre de coordonner les politiques menées par différents ministères, afin d’éviter les contradictions internes.
- une fonction d’arbitrage. De fait, c’est au Premier ministre de trancher les différends qui peuvent s’élever au sein de l’équipe gouvernementale, notamment en matière de dotation budgétaire.
Au titre de chef de l’administration, le Premier ministre :
- dispose de l’administration et de la force armée.
- est responsable de la Défense Nationale.
- assure l’exécution des lois.
- exerce un pouvoir réglementaire.
- nomme aux emplois civils et militaires.
Le Premier ministre dispose d’un ensemble de services dont :
- le cabinet, qui comprend une quarantaine de conseillers, en majorité des membres issus des grands corps de l’État. Sa fonction consiste notamment à préparer les projets et les arbitrages.
- le secrétariat général du gouvernement qui comprend une quinzaine de conseillers. Sa fonction consiste à préparer les réunions interministérielles. Le Secrétaire général du gouvernement est ainsi la seule personne qui assiste au Conseil des ministres sans avoir le statut de membre du gouvernement.
- Les services rattachés dont la nature et le nombre peuvent varier au gré des gouvernements. Pour mémoire, il convient de citer la Direction générale de l’administration et de la fonction publique qui exerce une tutelle sur des écoles de formation telles que l’École nationale d’administration et les Instituts régionaux d’administration.
La nature du poste de Premier ministre ne laisse pas d’inspirer les constitutionnalistes.
Ce sont en effet les circonstances et la tradition qui ont défini progressivement le rôle du Premier ministre, à savoir une personne de confiance nommée par le Président de la République et chargée de mettre en application la politique du gouvernement.
Ce fut le cas avec Michel Debré et Georges Pompidou.
Mais dès le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, le Premier ministre est également nommé en raison de considérations électorales.
La récompense à apporter à des chefs de partis ou de courants susceptibles d’apporter des voix au candidat explique leur nomination à ce poste et la survenance éventuelle de conflits de pouvoir.
Le terme de dyarchie se justifie alors. Il prend également tout son sens à partir de 1986, avec l’apparition de la cohabitation qui implique un partage du pouvoir exécutif entre deux personnes de tendance politique opposée.
Avec l’effacement du Premier ministre actuel, il est permis de s’interroger sur l’évolution du régime, vers un régime présidentiel dans lequel la fonction de Premier ministre disparaîtrait presque, réduite à celle d’un vice-président, à l’instar du régime américain, tant adulé par l’actuel Président de la République.
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