La suppression des limites d’âge aux concours
Édito par Bonfons de Cruchot
À l’heure de la réforme des retraites et de l’allongement inéluctable de la durée de cotisation, une réforme des concours de la fonction publique annonçait déjà l’an dernier la nécessité de travailler plus longtemps.
En effet, l’article 27 de la loi 2009-972 du 3 août 2009, a abrogé le 5e alinéa de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 et de ce fait a supprimé les limites d’âge pour les candidats à un concours lorsque celui-ci est suivi d’une période de scolarité d’une durée au moins égale à deux ans. C’est le cas pour deux concours administratifs d’importance: l’École nationale d’administration et les Instituts régionaux d’administration.
Avant la réforme de 2009, la limite d’âge pour passer le concours était fixée à 40 ans. Désormais, on peut supposer qu’on peut passer le concours à 60 ou 65 ans. Ridicule ? Oui et non.
Non dans la mesure où cette réformette est symptomatique de l’époque. Nous savons tous que le régime des retraites a vécu: fini la retraite à 60 ans; fini les 17 ou 30 ans de vie de pensionné après avoir cotisé 37 ans. Tous les pays européens comparables sont passés à un âge supérieur à 65 ans: Royaume-Uni, Allemagne, Danemark… La durée de cotisation en Grèce serait dernièrement passée de 53 ans à 67 ans.
Alors, il est mathématiquement logique d’élever l’âge maximal pour passer un concours, voire de supprimer la limite existante.
Maintenant, cette réforme ressemble à un coup d’épée dans l’eau. Qui va passer le concours à 62 ans ? Pour la première fois ? Le concours de l’ENA, c’est du sérieux; ce n’est pas le bac que Papy passe pour la première fois à 79 ans, objet du marronnier du Figaro et du Parisien, début juillet, lorsque la rédaction est en mal de sujets juste avant le départ en vacances. Non, le concours de l’ENA, c’est une demie-douzaine d’épreuves correspondant à un programme gigantesque, l’équivalent de cinq années (pleines) d’enseignement supérieur en droit, économie, langue et « culture générale ».
Ensuite, une question se pose: la limite d’âge avait un sens dans un système social à deux contraintes. La première était l’âge de la retraite (60 ans) et la seconde l’obligation de servir l’État pendant 10 ans à compter de la sortie de l’école. En limitant à 40 ans l’âge maximal auquel passer le concours, l’Administration pouvait compter sur un fonctionnaire opérationnel de 42 à 52 ans.; puis elle disposait d’un « bonus » de huit ans. Cela restait logique. Mais maintenant que la limite est supprimée ?
Dans l’absolu, nous pouvons imaginer que faute de points de retraite suffisants ou d’occupation intéressante, un de nos concitoyens se présente au concours à 55 ans. Deux ans d’école. À 57 ans, il est enfin opérationnel: au moment où une expérience de 10 ans est acquise, voici notre lauréat apte au départ à la retraite (car celle-ci passera, rappelons à 65 ou 67 ans, bien avant 2020). Conséquence: l’Administration aura déboursé beaucoup d’argent pour la formation d’un agent avec un retour sur investissement neutre mais minimal.
Qui croira dès lors que les jurys de concours vont embaucher des seniors de plus de 45 ans ? Cette mesure est donc bien symbolique. Elle annonce l’évolution de la société mais ne résout en rien ses problèmes. Peut-être, à l’occasion d’un millésime, un jury de concours mis en condition, acceptera comme lauréat un cinquantenaire, mais il sera bien seul parmi les 80 autres candidats.
Et puis parlons des aspects techniques: à l’exception de la 3e épreuve, un peu plus adaptée au profil des candidats « de la société civile », les deux autres formes de concours (externe et interne) restent académiques. Autant dire que les chances ne sont pas forcément égales entre les jeunes sortis des IEP et de faculté, aux connaissances fraiches, face aux seniors dont les repères de connaissance ne sont pas tout à fait identiques. Or l’essentiel des places (72 sur 80) sont dévolues à ces deux filières: le troisième concours se contente de huit places.
Quand on sait qu’un quart des jeunes de 18 à 25 ans trouve difficilement une place sur le marché du travail pour ne pas dire que ce quart est au chômage et/ou sans formation, on devine sans trop de perspicacité qu’au-dessus, c’est-à-dire au niveau « bac + 5 », une lutte féroce s’est engagée depuis longtemps pour des postes requérant une qualification bien moindre que celle exigée par les concours. Il paraîtrait qu’un agent d’accueil au Sénat est titulaire d’une thèse de doctorat…Alors quelles chances auront les seniors ?
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