
Les annales de droit public au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2015 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition en droit constitutionnel portant sur le Président de la République et la justice
- un commentaire d’arrêt portant sur la qualification de contrat administratif
Annales IFiP droit public 2015, Composition
Annales IFiP droit public 2015, Sujet « Le Président de la République est-il toujours le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ? »
Lors d’une conférence de presse tenue le 31 janvier 1964, le général De Gaulle déclare : « Le Président de la République est évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État ; il doit être évidemment entendu que l’autorité indivisible de l’État est confiée toute entière au Président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui ne soit conférée et maintenue par lui ».
À relire cette déclaration, la cohérence du fondateur du régime de la Ve République apparaît une fois de plus : conformément au discours de Bayeux, le général De Gaulle souhaite un régime efficace doté d’un réel pouvoir exécutif. Il est donc logique dans son esprit que l’autorité judiciaire soit « détenue » par le Président de la République, qui ne fait que la déléguer.
L’article 64 de la Constitution, disposant que « Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » s’inscrit alors logiquement dans cette volonté de contrôle. Mais il contredit l’équilibre et la séparation des pouvoirs. Il est ainsi pertinent, environ 60 ans après l’instauration du régime dans des circonstances justifiant la centralisation des pouvoirs (guerre d’Algérie) de passer au crible cette affirmation de l’article 64. Est-elle toujours d’actualité ?
S’il conserve un rôle-clé dans le bon fonctionnement de l’autorité judiciaire (I), le Président de la République a cessé d’en être le garant exclusif quant à son indépendance (II).
I. Un Président « clef de voûte » des institutions dont l’autorité judiciaire
Le Président de la République garantit l’indépendance des magistrats (A) et de la justice en tant que telle (B).
A. Le Président garantit l’indépendance des magistrats (critère organique)
Selon les grandes principes d’équilibre des pouvoirs énoncés par Montesquieu au XVIIIe siècle, il importe que les autorités exécutive et législative ne puissent interférer avec l’exercice souverain de la justice. L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer « le respect des libertés essentielles».
C’est en ce sens que le premier alinéa de l’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».
Cette disposition a parfois été critiquée par la doctrine. En effet, confier au chef du pouvoir exécutif, l’indépendance de l’autorité judiciaire, peut sembler incongru. Le Professeur Carcassonne déclarait ainsi : « autant proclamer que le loup est garant de la sécurité de la bergerie ». Pourtant, ces prises de position semblent partisanes. L’article 64 se contente d’assurer que les prérogatives des magistrats seront bien protégées par le Président : il ne fait pas du Président, une autorité supérieure des magistrats.
À cet égard, il faut alors distinguer deux niveaux de « garantie » car l’indépendance reconnue à l’autorité judiciaire concerne à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet et il en découle une différence de traitement. Ainsi, seuls « les magistrats du siège sont inamovibles » (art. 64, al. 4, de la Constitution), c’est-à-dire qu’ils ne peuvent recevoir, sans leur consentement, une affectation nouvelle, même en avancement (art. 4, al. 2, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature). Quelques exceptions sont prévues (par exemple, en cas de déplacement d’office prononcé au titre d’une sanction disciplinaire). Inversement, les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice.
Il existe donc un double niveau d’indépendance : celle relative des magistrats du Parquet ; l’autre pleine et entière, des magistrats du siège. Et c’est le Président de la République qui garantit cette indépendance.
Au demeurant, même dans l’interprétation partisane, faisant du Président de la République, un marionnettiste de juges, il faut comprendre la logique constitutionnelle : le chef de l’exécutif a la charge de faire appliquer la politique pénale approuvée par le Parlement ; il lui faut bien dès lors, un relais, ce sont les magistrats du Parquet. Et que dire d’une période de cohabitation ? Face à un Premier ministre qui outrepasserait ses prérogatives, le Président pourrait naturellement jouer son rôle de garant.
Suite réservée à nos stagiaires…
Annales IFiP droit public 2015, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit public 2015, Sujet: Tribunal des Conflits, 9 février 2015
TRIBUNAL DES CONFLITS
N° 3984
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Conflit sur renvoi de la cour administrative d’appel de Paris
Mme R. c/ Société Autoroutes du Sud de la France
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M. Yves Maunand
Rapporteur
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Mme Nathalie Escaut
Commissaire du gouvernement
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Séance du 9 février 2015
Lecture du 9 mars 2015
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REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu, enregistrée à son secrétariat le 23 octobre 2014, l’expédition de l’arrêt du 21 octobre 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, saisie d’une demande de Mme R. tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 23 janvier 2013 ayant rejeté sa demande formée contre la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) en réparation du préjudice résultant de la résiliation de la convention du 23 avril 1990, a renvoyé au Tribunal, en application de l’article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de la compétence ;
Vu l’arrêt du 17 février 2010 par lequel la Cour de cassation a décliné la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ;
Vu, enregistré le 27 novembre 2014, le mémoire présenté par Mme R. tendant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire par le motif que le contrat, conclu entre deux personnes privées, ne porte pas sur un objet nécessaire pour la construction de l’autoroute ou constituant un simple accessoire à sa réalisation et que la société ASF n’a pas agi en qualité de mandataire de l’État ;
Vu, enregistré le 14 janvier 2015, le mémoire présenté par la société ASF tendant à la compétence des juridictions de l’ordre administratif et à l’allocation de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 par le motif que les contrats conclus par un concessionnaire d’autoroute en vue de la réalisation des ouvrages autoroutiers et de leurs accessoires relèvent du juge administratif ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie qui n’a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Yves Maunand, membre du Tribunal,
– les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin pour la société Autoroutes du Sud de la France,
– les observations de Me Bouthors pour Mme R.,
– les conclusions de Mme Nathalie Escaut, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, dans le cadre des obligations faites aux sociétés concessionnaires d’autoroutes de consacrer une part du montant des travaux de construction d’une liaison autoroutière à des œuvres d’art, la société ASF a conclu le 23 avril 1990 avec Mme R. une convention lui confiant, moyennant une rémunération forfaitaire, la mission d’établir une série de trois esquisses devant permettre à la société de choisir l’œuvre à créer, puis la réalisation d’une maquette d’une sculpture monumentale que la société envisageait d’implanter sur une aire de service située sur le futur tracé de l’autoroute A 89 ; que la convention stipulait que la sculpture définitive ne pourrait être réalisée que si la société ASF était choisie comme concessionnaire de l’autoroute A 89 et si l’une des trois esquisses présentées était retenue par elle ; que la désignation de la société ASF en qualité de concessionnaire de l’autoroute A 89 a été approuvée par décret du 7 février 1992 ; qu’après l’achèvement des travaux de construction des ouvrages autoroutiers, la société ASF a informé Mme R., par courrier du 7 juin 2005, de sa décision d’abandonner définitivement le projet ; que, par arrêt du 17 février 2010, la Cour de cassation a décliné la compétence du juge judiciaire saisi par Mme R. d’une demande d’indemnisation des préjudices qu’elle aurait subis du fait de la résiliation du contrat qu’elle allègue ; que, par arrêt du 21 octobre 2014, la cour administrative d’appel de Paris, estimant que le litige relevait de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, a saisi le Tribunal des conflits en application de l’article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Considérant qu’une société concessionnaire d’autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’État ; que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ;
Considérant, toutefois, que la nature juridique d’un contrat s’appréciant à la date à laquelle il a été conclu, ceux qui l’ont été antérieurement par une société concessionnaire d’autoroute sous le régime des contrats administratifs demeurent régis par le droit public et les litiges nés de leur exécution relèvent des juridictions de l’ordre administratif ;
Considérant que Mme R. poursuit la réparation des préjudices qu’elle aurait subis à la suite de la résiliation de la convention qui l’aurait liée à la société ASF et qui aurait porté sur l’implantation sur une aire de repos d’une œuvre monumentale à la réalisation de laquelle la société concessionnaire était tenue de consacrer une part du coût des travaux, et qui présentait un lien direct avec la construction de l’autoroute ; que le litige ressortit dès lors à la compétence de la juridiction administrative ;
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société ASF au titre des dispositions de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D É C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l’ordre administratif est compétente pour connaître du litige opposant Mme R. à la société des Autoroutes du Sud de la France.
Article 2 : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 21 octobre 2014 est déclaré nul et non avenu. La cause et les parties sont renvoyées devant cette cour.
Article 3 : Les conclusions de la société ASF présentées sur le fondement de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme R., à la société des Autoroutes du Sud de la France et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Annales IFiP droit public 2015, Corrigé
Les faits
Les sociétés concessionnaires d’autoroutes ont de par la loi, l’obligation de consacrer une part du montant des travaux de construction d’une liaison autoroutière à des œuvres d’art.
Mme Rispal et la société concessionnaire d’autoroute ASF concluent le 23 avril 1990 une convention à titre onéreux pour la réalisation d’une œuvre d’art. La société ASF confie à Mme R. la mission d’établir une série de trois esquisses devant permettre à la société de choisir l’œuvre à créer, puis la réalisation d’une maquette d’une sculpture monumentale que la société envisage d’implanter sur une aire de service située sur le futur tracé de l’autoroute A 89.
La convention stipule que la sculpture définitive ne sera réalisée que si la société ASF est choisie comme concessionnaire de l’autoroute A 89 et si l’une des trois esquisses présentées est retenue par elle.
Or la société ASF est bien choisie comme concessionnaire de l’autoroute A 89 par décret du 7 février 1992.
Mais après l’achèvement des travaux de construction des ouvrages autoroutiers, la société ASF informe Mme R., par courrier du 7 juin 2005, de sa décision d’abandonner définitivement le projet.
La procédure
Mme R. estime avoir subi un préjudice du fait du non-respect de la convention. Elle demande une indemnisation et saisit les tribunaux de l’ordre judiciaire. Mais la Cour de cassation décline la compétence du juge judiciaire dans un arrêt du 17 février 2010.
L’ordre administratif par l’entremise de la cour administrative d’appel de Paris, estime inversement dans son arrêt du 21 octobre 2014 que le litige relève de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. Il saisit en conséquence le Tribunal des conflits.
La question de droit
Les contrats passés pour la construction d’autoroute ont-ils la nature de contrats administratifs ?
La solution
Revenant sur une jurisprudence bien établie (CE, Société Entreprise Peyrot, 8 juillet 1963), le Tribunal des conflits estime que les litiges nés de l’exécution d’un contrat entre une société concessionnaire d’autoroute et une autre personne de droit privé relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
L’enterrement de la jurisprudence Peyrot par le Tribunal des conflits (I) ne fait pas obstacle en l’espèce à la qualification de contrat administratif en raison de l’absence de rétroactivité de sa nouvelle position (II).
I. L’abandon de la jurisprudence « Société Entreprise Peyrot »
Traditionnellement, le juge qualifiait de contrat administratif par nature, le contrat passé entre une société concessionnaire d’autoroute et une personne de droit privé (A). La présente décision constitue un revirement de jurisprudence (B).
A. La qualification de travaux publics d’autoroute
Dans sa décision Société Entreprise Peyrot du 8 juillet 1963, le Tribunal des conflits a posé le principe selon lequel les marchés de travaux des sociétés concessionnaires d’autoroute conclus avec des entreprises privées relèvent « par nature » de la compétence du juge administratif.
Dans cet arrêt, le Tribunal des conflits analysait ainsi le rapport entre les deux parties :
« Considérant que la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l’État ; qu’elle est traditionnellement exécutée en régie directe ; que, par suite, les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit public ».
Le concessionnaire d’autoroute était alors regardé de fait comme agissant pour le compte de l’État. Le Tribunal justifiait sa solution en raison de l’objet du contrat.
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Pour aller plus loin