
Les annales de droit public au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2011 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition portant sur la répartition des pouvoirs entre juge judiciaire et administratif
- un commentaire d’arrêt portant sur la question prioritaire de constitutionnalité
Annales IFiP droit public 2011, Composition
Annales IFiP droit public 2011, Sujet « Les interventions du juge judiciaire dans les activités de l’administration ».
Le dualisme juridictionnel français est hérité des lois des 16 et 24 août 1790. Il pose deux types de justice : l’une judiciaire, l’autre administrative.
Cette division en deux ordres s’explique au regard des dysfonctionnements de la justice et de l’Administration observés sous l’Ancien Régime. Celui-ci reposait en effet en partie sur l’existence des « Parlements » dans les différentes régions du royaume. Ils avaient une fonction première de cour de justice mais se sont progressivement arrogé un pouvoir administratif allant jusqu’à concurrencer les intendants nommés par le roi. Aussi, le souci des révolutionnaires de 1789 consiste à éviter que l’action de l’État puisse être jugée ou du moins remise en cause par les tribunaux judiciaires, d’où l’apparition d’un ordre juridictionnel propre à l’Administration.
Près d’un siècle plus tard, l’arrêt Blanco du Conseil d’État (8 février 1873) consacre la compétence propre de la juridiction administrative en même temps qu’il reconnaît la responsabilité de l’État. En cas de contestation ou de doute sur l’ordre compétent, le Tribunal des conflits est saisi et le détermine.
À cette vision théoriquement claire d’un jardin à la française, délimitant méticuleusement chaque sphère d’influence s’est rapidement opposée la pratique mettant en lumière des zones d’incertitude.
De fait, afin de garantir contre l’arbitraire, le juge judiciaire a conservé des attributions notables. D’où l’intérêt d’analyser l’intervention de l’ordre judiciaire dans le domaine administratif.
Si le juge judiciaire s’est vu reconnaître un droit à juger l’action de l’Administration (I), son périmètre d’intervention tend à décliner (II).
I. D’une intervention prévue et étendue…
Le juge judiciaire est appelée à intervenir dans le champ du droit de l’Administration sur un fondement constitutionnel (A) et législatif (B).
A. Les compétences dévolues par le Constituant
L’encoche la plus notable dans le domaine administratif de la part du juge judiciaire concerne la voie de fait : l’atteinte à des libertés fondamentales ou au respect du droit de propriété.
La théorie de la voie de fait est apport prétorien qui protège les justiciables du pouvoir de l’administration. Ainsi, l’administration est censée commettre une voie de fait si elle porte une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale. Cette illégalité doit revêtir un caractère grave et résulter soit de « l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision même régulière », soit d’une décision « manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative ».
En cas de voie de fait, le juge judiciaire dispose d’une plénitude de juridiction : il en constate l’existence et il peut adresser des injonctions à l’administration afin d’obtenir la cessation de ses effets ou même en prévenir la réalisation en cas de « menace précise d’exécution ». Il peut aussi condamner l’administration à en réparer les conséquences dommageables. Le Conseil d’État a ainsi réaffirmé avec constance la compétence exclusive des tribunaux judiciaires pour connaître d’une action en réparation de l’ensemble des dommages résultant d’une voie de fait (CE, 30 juillet 1949, Depalle).
La reconnaissance de l’intervention du juge judiciaire par le Constituant s’est doublée de celle du législateur.
B. Les compétences dévolues par le législateur
Par sa décision du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel a précisé les conditions d’un aménagement du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires « lorsque l’application d’une législation ou d’une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire ».
Dans ce cas, il est possible dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’unifier au sein d’un seul ordre juridictionnel le traitement de certaines contestations (CC, 23 janvier 1987).
Suite réservée à nos stagiaires…
Annales IFiP droit public 2011, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit public 2011, Sujet, CE, 11 mars 2011
Conseil d’État
N° 341658
Publié au recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Arrighi de Casanova, président
M. Yves Doutriaux, rapporteur
M. Lenica Frédéric, rapporteur public
BLANC ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, avocat(s)
Lecture du vendredi 11 mars 2011
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu le mémoire, enregistré le 31 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présenté pour M. Alexandre A demeurant …, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A demande au Conseil d’État, à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de la décision du 6 mai 2010 par laquelle l’Agence française de lutte contre le dopage lui a interdit, à titre de sanction, de participer pendant deux ans aux compétitions et manifestations organisées ou autorisées par la Fédération française d’équitation, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 232-22 et L. 232-23 du code du sport ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 38 et 61-1 ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code du sport ;
Vu la loi n° 2008-650 du 3 juillet 2008 ;
Vu l’ordonnance n° 2006-596 du 23 mai 2006 ;
Vu l’ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Yves Doutriaux, Conseiller d’État,
– les observations de Me Blanc, avocat de M. A, et de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de l’Agence française de lutte contre le dopage,
– les conclusions de M. Frédéric Lenica, Rapporteur public,
La parole ayant à nouveau été donnée à Me Blanc, avocat de M. A, et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de l’Agence française de lutte contre le dopage ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État (…) ; qu’il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
Considérant que l’organe disciplinaire de la Fédération française d’équitation a, par une décision du 8 février 2010, infligé à M. A un avertissement à titre de sanction en raison des résultats du contrôle antidopage qui a été effectué à l’issue d’une épreuve sportive à laquelle il
a participé le 7 novembre 2009; que l’Agence française de lutte contre le dopage, se saisissant de l’affaire de sa propre initiative sur le fondement du 3° de l’article L. 232-22 du code du sport, a prononcé à l’encontre de M. A, par décision du 6 mai 2010, la sanction d’interdiction de participer pendant deux ans aux compétitions et manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française d’équitation, laquelle est au nombre des sanctions susceptibles d’être prononcées par l’Agence en application des dispositions de l’article L. 232-23 du code du sport; que M. A soutient, à l’appui de la requête qu’il a formée contre la décision prise par l’Agence, que les dispositions des articles L. 232-22 et L. 232-23 du code du sport sont contraires, respectivement, au principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement, qui se déduirait des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et au principe d’égalité ;
En ce qui concerne l’article L. 232-22 du code du sport :
Considérant que les dispositions du 3° de l’article L. 232-22 du code du sport, dans leur rédaction applicable à la date du 8 février 2010 à laquelle a été rendue la décision de l’organe disciplinaire de la Fédération française d’équitation dont l’Agence française de lutte contre le dopage s’est saisie, sont issues de l’ordonnance du 23 mai 2006 relative à la partie législative du code du sport ; que, toutefois, ces dispositions ont été implicitement ratifiées par l’effet de la loi du 3 juillet 2008 relative à la lutte contre les produits dopants, dont l’article 14 a complété l’article L. 232-22 par un alinéa précisant, pour toutes les hypothèses de saisine de l’Agence, y compris celle prévue par le 3°, que la saisine de l’agence n’est pas suspensive, sauf décision contraire de celle-ci ; que ces dispositions, applicables au litige, présentent ainsi le caractère de dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution et de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ;
Considérant, toutefois, que les dispositions du 3° de l’article L. 232-22 se bornent à permettre à l’Agence française de lutte contre le dopage de réformer les décisions de sanction prononcées pour des faits de dopage par les organes compétents des fédérations sportives à l’encontre des sportifs licenciés, dans un souci d’harmonisation des décisions prises par les différentes fédérations dans ce domaine ; qu’en tout état de cause, ces dispositions ne mettent pas en cause le principe de séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement qui, ainsi qu’il résulte des décisions du Conseil constitutionnel n° 95-360 DC du 2 février 1995 et n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, interdit, en matière de crimes et
de délits, que le prononcé de sanctions pénales puisse résulter de la seule diligence d’une autorité chargée de l’action publique ; que ces dispositions, au demeurant, n’impliquent nullement par elles-mêmes que l’Agence, lorsqu’elle décide de se saisir d’une décision d’une fédération sportive, statue sur les faits reprochés au sportif licencié dans des conditions contraires au principe d’impartialité ; que par suite, la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu’ainsi, sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le 3° de l’article L. 232-22 du code du sport, dans sa rédaction applicable à la date du 8 février 2010, porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
En ce qui concerne l’article L. 232-23 du code du sport :
Considérant que les dispositions de l’article L. 232-23 du code du sport déterminent les sanctions susceptibles d’être prononcées par l’Agence française de lutte contre le dopage ; que, dès lors que la sanction appliquée en l’espèce sur le fondement de ces dispositions était encourue à la date de la commission des faits en cause, la version de cet article applicable au litige est celle, en vigueur à la date de la décision du 6 mai 2010, qui est issue de l’article 12 de l’ordonnance du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du code du sport avec les principes du code mondial antidopage ; que cette ordonnance n’a pas été ratifiée dans les conditions désormais prévues à l’article 38 de la Constitution ; que, par suite, les dispositions de l’article L. 232-23 du code du sport applicables au présent litige ont un caractère réglementaire et ne sont pas au nombre des dispositions législatives visées par l’article 61-1 de la Constitution et l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu’elles ne sont, en conséquence, pas susceptibles de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité ;
D E C I D E :
—————
Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Alexandre A, à l’Agence française de lutte contre le dopage, à la ministre des sports et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.
Annales IFiP droit public 2011,Corrigé
Les faits
La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution un nouvel article 61‐1qui permet à tout justiciable, à l’occasion d’un litige porté devant une juridiction, de contester la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution. Sous réserve de remplir certaines conditions, la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) ainsi soulevée est renvoyée au Conseil constitutionnel lequel abroge, le cas échéant, la disposition jugée inconstitutionnelle (article 62 de la Constitution modifié). C’est de cette procédure qu’il s’agit dans le présent arrêt et le moins que l’on puisse dire est que les juges administratifs administrent au requérant un double obstacle.
M. A a participé le 7 novembre 2009 à une compétition sportive d’équitation. Il est testé positif à un contrôle anti-dopage. L’organe disciplinaire de la Fédération française d’équitation, par une décision du 8 février 2010, adresse un avertissement à titre de sanction. Mais par ailleurs, l’Agence française de lutte contre le dopage s’auto-saisit de l’affaire.
Et par une décision du 6 mai 2010, l’Agence française de lutte contre le dopage interdit à M. A, de participer pendant deux ans aux compétitions et manifestations organisées ou autorisées par la Fédération française d’équitation.
La procédure
M. A demande au Conseil d’État de soulever une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel pour se prononcer sur le respect du principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement qui n’aurait pas été respecté par l’organisme à l’origine de la sanction.
Solution
Le Conseil d’État rejette la demande sur deux fondements : la disposition invoquée par le requérant n’entre pas dans le champ d’application de la question prioritaire de constitutionnalité (I) et sa requête ne présente de toute façon aucun caractère nouveau ni sérieux (II).
I. La définition du champ d’application des « dispositions législatives »
L’introduction d’une QPC suppose la réunion de conditions générales dont l’appartenance à des « dispositions législatives » (A) ce qui n’est pas le cas pour une ordonnance non ratifiée (B).
A. Les conditions requises pour la recevabilité d’une QPC
La QPC ne peut en effet porter que sur « une disposition législative ». Il s’agit ainsi :
- D’une loi votée par le Parlement.
- D’une ordonnance ratifiée par le Parlement.
- D’une loi du pays de Nouvelle-Calédonie.
Sont logiquement exclus les actes administratifs qui relèvent de la compétence des juridictions administratives.
De même, la réforme dispose que cette disposition législative porte atteinte aux « droits et libertés garantis par la Constitution ». Il s’agit ainsi des droits et libertés mentionnés dans :
- La Constitution du 4 octobre 1958.
- Les textes auxquels renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, la Charte de l’environnement de 2004).
B. L’exclusion du champ d’application de l’ordonnance non ratifiée
La notion de « disposition législative » inclut les dispositions déjà promulguées des lois ordinaires et des lois organiques ainsi que les dispositions législatives des « lois du pays » de Nouvelle-Calédonie. Le Conseil d’État admet également qu’un requérant conteste par cette voie l’interprétation que le juge donne de la loi, qui est inséparable de la loi elle-même (CE, 16 juillet 2010, SCI la Saulaie, n° 334665). Peu importe, en outre, que la disposition législative contestée ait été abrogée ou modifiée après l’introduction du recours, dès lors qu’elle est bien applicable au litige (CE, 23 juillet 2010, M. Laurent A., n° 340115).
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