Les annales de droit civil au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2020 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition portant sur la nullité des contrats
- un commentaire d’arrêt portant sur la responsabilité du fait des produits défectueux
Annales IFiP droit civil 2020, Composition
Sujet: les nullités en droit des contrats, conditions et effets
La nullité consiste en l’anéantissement rétroactif du contrat qui ne respecte pas les conditions prescrites pour sa validité.
Le principe est la nécessité de faire appel au juge pour annuler un contrat. L’idée est que l’on ne se fait pas justice à soi-même.
Le contrat reste donc obligatoire tant qu’il n’est pas annulé. C’est toujours à celui qui invoque la nullité d’apporter la preuve de cette nullité.
I. Les conditions de l’ouverture de l’action en nullité
A. Les caractères de la nullité
Il faut distinguer la nullité relative de la nullité absolue.
1. La nullité relative
La nullité relative est la « nullité relative à un contractant ». Elle intervient dans les cas où la règle qui n’a pas été respectée protégeait un intérêt particulier, l’intérêt de celui qui était protégé par cette règle. Il en résulte que seul ce cocontractant peut invoquer la nullité ; ni l’autre partie, ni des tiers ne peuvent invoquer une règle qui ne les protège pas. Cette nullité relative concerne :
- Le défaut de capacité d’exercice : seul l’incapable peut réclamer la protection de son état.
- Le défaut de consentement ou de représentation : lorsqu’un contrat a été conclu sans qu’il n’y ait eu de pouvoir correspondant, seule la personne au nom duquel le contrat a été conclu peut demander la nullité.
- Le vice du consentement (erreur, dol, violence) : seule la victime peut se prévaloir de la nullité.
- Le vice de forme : lorsqu’un contrat exige un formalisme particulier (contrat entre consommateur et professionnel), seule la partie la plus faible peut invoquer la nullité.
2. La nullité absolue
La nullité absolue est la nullité qui peut être invoquée par toute personne qui y a intérêt, y compris des tiers au contrat : « La nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public » (article 1180 du Code civil).
On estime que l’ordre public est mis en jeu, ce qui permet à chacun d’intervenir pour mettre fin au contrat. Le plus souvent on rencontre la nullité absolue pour :
- Inobservation des formes d’un contrat solennel
- Défaut, indétermination ou illicéité de l’objet du contrat
La nullité absolue signifie qu’une des parties au contrat qui a conclu en ayant parfaitement conscience du caractère illicite de la cause peut demander la nullité du contrat : il s’agit en l’occurrence de décourager le cas échéant toute personne de s’engager dans un contrat dont la cause est illicite, puisque le contractant doit savoir que son cocontractant est susceptible à tout moment de dénoncer le contrat.
Suite réservée à nos stagiaires…
Annales IFiP droit civil 2020, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit civil 2020,Sujet: Cass. Civ. 26 février 2020
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 26 février 2020
N° de pourvoi : 18-26256
Publié au bulletin
Rejet
Mme Batut, président SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat(s)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
La société R… France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est […], a formé le pourvoi n° M 18-26.256 contre l’arrêt rendu le 4 octobre 2018 par la cour d’appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. I… H…, domicilié […] ,
2°/ à M. Y… E…, domicilié […] ,
3°/ à la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, dont le siège est […], défendeurs à la cassation.
M. H.… a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.[…]
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 4 octobre 2018), après la pose de prothèses de hanche droite et gauche, réalisée respectivement les 15 octobre 2004 et 4 mai 2005 par M. E.… (le chirurgien), M. H.… a, le 19 mars 2007, été victime d’une chute due à un dérobement de sa jambe droite, consécutif à une rupture de sa prothèse de hanche droite. Le chirurgien a, alors, procédé au changement de la tige fémorale de la prothèse.
2. Après avoir sollicité une expertise en référé, M. H.…, qui a conservé des séquelles de sa chute, a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien et la société R… France (le producteur), ayant fourni la prothèse litigieuse à ce dernier, et mis en cause la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Énoncé du moyen
3. Le producteur fait grief à l’arrêt de le déclarer entièrement responsable du préjudice causé à M. H.… par la rupture de sa prothèse et de le condamner à lui payer différentes sommes, alors :
« 1°/ qu’il appartient au demandeur en réparation du dommage causé par un produit qu’il estime défectueux de prouver le défaut invoqué ; que la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ; que, pour retenir que la prothèse de hanche était affectée d’un défaut, la cour d’appel a relevé que la fracture de la prothèse était antérieure à la chute de M. H.… qu’elle avait provoquée, que les choix du médecin sur la nature et les dimensions des éléments de la prothèse et les opérations techniques de pose n’étaient pas critiquables, qu’il n’existait pas de lien de causalité entre le surpoids du patient et la fracture et que le point de fracture se situait dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche, à sa base ; qu’en se fondant sur des éléments impropres à caractériser un défaut de la prothèse, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1386-4 et 1386-9, devenus les articles 1245-3 et 1245-8 du Code civil ;
2°/ que l’expert judiciaire a relevé qu’outre les fractures de prothèses de hanche liées à des défauts de conception ou de fabrication de la prothèse, « il existe des fractures sans cause précise retrouvée soit par impossibilité d’analyse de l’explant ou parce que cette analyse reste négative » ; qu’il a constaté qu’en l’espèce, aucune anomalie de conception n’a été retrouvée, au regard de l’absence d’alerte sanitaire et de la conformité des tests pratiqués et que le défaut d’analyse de l’explant ne permettait « pas de proposer une explication certaine à la survenue de cette fracture » ; qu’il a ajouté que « toutes les prothèses de hanche pouva[ie]nt présenter un taux faible de fracture « spontanée »»,sans que cela ne remette en cause « la fiabilité du type de prothèse posée » […] ».
Réponse de la Cour
4. L’arrêt retient, en se fondant sur les constatations de l’expert, que la rupture de la prothèse a provoqué la chute de M. H.…, que cette rupture n’est pas imputable au surpoids de ce dernier, qu’aucune erreur n’a été commise dans le choix et la conception de la prothèse ni lors de sa pose et que le point de fracture se situe à la base, dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche. Il ajoute que la tige fémorale posée le 15 octobre 2004 ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.
5. De ces constatations et énonciations souveraines ne procédant pas de dénaturations, la cour d’appel, qui n’était pas liée par les conclusions expertales, a pu déduire que la rupture prématurée de la prothèse était due à sa défectuosité, de sorte que se trouve engagée la responsabilité de droit du producteur à l’égard de M. H…
[…]
Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Énoncé du moyen
8. M. H.… fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes à l’égard du chirurgien, alors « que la responsabilité d’un médecin est encourue de plein droit en raison du défaut d’un produit de santé qu’il implante à son patient ; qu’en jugeant que la responsabilité du chirurgien, qui a implanté à M. H.… une prothèse de hanche défectueuse, ne pouvait être engagée à son profit qu’en cas de faute de sa part, la cour d’appel a violé l’article L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
9. Selon l’article L. 1142-1, alinéa 1, du code de la santé publique, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, les professionnels de santé et les établissements dans lesquels sont diligentés des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de tels actes qu’en cas de faute, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé.
10. Cette exception au principe d’une responsabilité pour faute est liée au régime de responsabilité du fait des produits défectueux […] l’article 1386-7, devenu 1245-6 du Code civil énonce que, si le producteur ne peut être identifié, le fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu’il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
11. Il en résulte que la responsabilité de droit d’un professionnel de santé ou d’un établissement de santé, sur le fondement de cette disposition, ne peut être engagée que dans le cas où le producteur n’a pu être identifié et où le professionnel de santé ou l’établissement de santé n’a pas désigné son propre fournisseur ou le producteur dans le délai imparti.
[…]
14. L’instauration par la loi du 19 mai 1998 d’un régime de responsabilité de droit du producteur du fait des produits défectueux, les restrictions posées par l’article 1386-7, devenu 1245-6 du Code civil à l’application de ce régime de responsabilité à l’égard des professionnels de santé et des établissements de santé, la création d’un régime d’indemnisation au titre de la solidarité nationale des accidents médicaux non fautifs et des affections iatrogènes graves sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le fait que les professionnels de santé ou les établissements de santé privés peuvent ne pas être en mesure d’appréhender la défectuosité d’un produit, dans les mêmes conditions que le producteur, justifient, y compris lorsque se trouve applicable l’article L. 1142-1, alinéa 1, de ce code, de ne pas soumettre ceux-ci, hors du cas prévu par l’article 1245-6 précité, à une responsabilité sans faute, qui serait, en outre, plus sévère que celle applicable au producteur, lequel, bien que soumis à une responsabilité de droit, peut bénéficier de causes exonératoires de responsabilité.
15. Il s’ensuit qu’en se bornant à examiner si une faute était imputable au chirurgien dans la prise en charge de M. H.… et en écartant sa responsabilité, en l’absence d’une telle faute, la cour d’appel a fait l’exacte application du texte susvisé.
[…]
Sur le second moyen du même pourvoi
Énoncé du moyen
18. M. H.… fait encore grief à l’arrêt de rejeter ses demandes à l’égard du chirurgien, alors « que la cour d’appel ayant jugé que le chirurgien avait commis des fautes « dans la conservation de l’explant, et consistant à avoir commis une erreur sur les références de la tige fémorale fracturée dans le cadre des démarches de matériovigilance, puis à s’être dessaisi de cette tige, sans pouvoir justifier de sa transmission effective à l’entité compétente pour l’examiner », mais ayant retenu que cette faute « ne pourrait cependant qu’être à l’origine d’une perte de chance d’obtenir indemnisation du préjudice causé par la fracture de la prothèse » et que la responsabilité du producteur étant engagée, il n’y avait pas de « lien de causalité entre la faute établie contre lui et le dommage subi par M. H.… », la cassation qui atteindrait sur le chef de dispositif qui a condamné le producteur à indemniser M. H.… de son préjudice entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif par lequel la cour d’appel a débouté M. H.… de son action en responsabilité engagée contre le chirurgien en application de l’article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
19. Les moyens du pourvoi principal contestant la responsabilité du producteur étant rejetés, le moyen du pourvoi incident, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est sans portée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société R… France aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société R… France et la condamne à payer à M. H.… la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt.
Annales IFiP droit civil 2020, Corrigé
Les faits
Après les poses de prothèses de hanche droite et gauche, réalisées respectivement les 15 octobre 2004 et 4 mai 2005 par M. E (le chirurgien), M. H (le patient) est victime le 19 mars 2007, d’une chute due à un dérobement de sa jambe droite, consécutif à une rupture de sa prothèse de hanche droite. Le chirurgien procède alors au changement de la tige fémorale de la prothèse.
Néanmoins, M. H a conservé des séquelles de sa chute. Il assigne donc en responsabilité et indemnisation le chirurgien et la société R… France (le producteur de la prothèse), ayant fourni la prothèse litigieuse.
La procédure
Par un arrêt du 4 octobre 2018, la Cour d’appel de Versailles a, déclaré la société R (fournisseur de la prothèse) entièrement responsable du préjudice causé à M. H et l’a condamné à payer différentes sommes.
La société R se pourvoit en cassation.
Le patient victime forme un pourvoi incident, en recherchant la responsabilité du chirurgien M. E, en plus de la responsabilité de la société R.
La question de droit
L’engagement de la responsabilité sur le fondement des produits défectueux exonère-t-elle le praticien de sa responsabilité ?
La solution
La Cour de cassation rappelle que l’engagement de la responsabilité du fait de produits défectueux n’exclut pas a priori celle du praticien, même si en l’espèce aucune faute n’est relevé contre ce dernier.
La détermination de la responsabilité en droit de la santé est particulièrement délicate tant les intervenants sont nombreux (I). La divergence d’appréciation entre juridictions vient complexifier le régime (II).
I. La détermination de la responsabilité
Les régimes de responsabilité des produits défectueux et de responsabilité du praticien sont distincts (A) mais ne sont pas exclusifs l’un de l’autre (B)
A. Les conditions d’engagement de la responsabilité du fait des produits défectueux
Le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est issu de la transposition de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, devenue les articles 1245 et suivants du Code civil. Il concerne les produits de santé mis en circulation après l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998. Il met en œuvre une responsabilité de plein droit dont le producteur ne peut s’exonérer qu’en rapportant la preuve :
§ Qu’il n’avait pas mis le produit en circulation
§ Que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation
§ Que le produit n’a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution
§ Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut
§ Que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire.
Le régime de la preuve (Art. 1245-3 du Code civil) implique que la charge appartient au demandeur. Mais comme il est difficile de rapporter celle-ci, la jurisprudence de la Cour de cassation admet le recours à un faisceau d’indices pour admettre la défectuosité.
En l’espèce, la Cour de cassation applique à la lettre le déroulement du raisonnement juridique : elle admet dans un premier temps le faisceau d’indices montrant la responsabilité du producteur pour examiner dans un second temps l’existence d’une cause d’exonération de celui-ci.
La Cour retient en l’espèce l’appréciation de la cour d’appel de Versailles, à savoir l’imputabilité acquise du dommage au producteur et ne relève aucune cause d’exonération : la société R est donc responsable de plein droit, conformément au régime des produits défectueux.
Pour autant, le praticien est-il totalement hors de cause ?
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Pour aller plus loin