
Les annales de droit public au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2012 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition en droit constitutionnel portant sur la cohabitation
- un commentaire d’arrêt en droit administratif portant sur la hiérarchie des normes
Annales IFiP droit public 2012, Composition
Annales IFiP droit public 2012, Sujet « La cohabitation sous la Ve République, une hérésie constitutionnelle ? »
La cohabitation désigne la situation politique dans laquelle le Président de la République et la majorité des députés sont de tendances politiques opposées. Ce cas de figure n’était pas prévu explicitement par les constituants de 1958 au point que certains l’ont qualifié de « vide constitutionnel ».
Pour autant, elle était envisageable au point que, dans un article intitulé « Les deux tentations » du 16 septembre 1983, Édouard Balladur la qualifiait d’« épreuve de vérité » pour les institutions : soit il y aurait affrontement, soit il y aurait donc « cohabitation », laissant entendre une coexistence plus ou moins pacifique entre Président de la République et Premier ministre, chef de la majorité parlementaire.
Cette situation s’est rencontrée à trois reprises : en 1986 (François Mitterrand, Président ; Jacques Chirac, Premier ministre), en 1993 (François Mitterrand, Président ; Édouard Balladur, Premier ministre) et en 1997 (Jacques Chirac, Président ; Lionel Jospin, Premier ministre).
Dans la mesure où les pouvoirs sont partagés voire sont majoritairement transférés au Premier ministre, qui représente la majorité parlementaire, la Ve République bascule donc vers un régime parlementaire, là où les textes fondateurs avaient prévu a minima un régime dyarchique, mi-présidentiel, mi-parlementaire. D’où l’accusation d’hérésie portée à l’encontre de cette période de « cohabitation ». Mais est-elle fondée ?
Paradoxalement, il est loisible d’affirmer que la cohabitation est un retour aux sources (I) qui, à défaut d’être une hérésie, représente une paralysie du pouvoir (II).
I. La cohabitation : un retour aux origines ?
A. Un partage du pouvoir entre Président et Premier ministre conforme à l’esprit originel
Initialement, le fondateur de la Ve République a pu hésiter entre les deux fonctions prévues par la nouvelle Constitution : Président de la République ou Premier ministre. En effet, en 1958, la fonction de Président est celle d’un « président-arbitre » qui ne s’implique pas dans la gestion quotidienne et même dans la politique nationale globalement, à la différence du Premier ministre.
La fonction de Président est conçue véritablement dans l’esprit du « garant du bon fonctionnement des institutions », comme un dernier recours en cas de dysfonctionnement : mais il n’est pas évident à ce moment que le Président ait vocation à exercer un réel pouvoir concurrent de celui du Premier ministre et encore moins à l’éclipser.
Si De Gaulle écarte cette conception du président-arbitre rapidement, c’est en raison des circonstances.
En effet, le contexte de la guerre d’Algérie et les réformes à venir (notamment en matière de justice avec la refonte des institutions judiciaires, ou de l’économie avec l’instauration du nouveau franc) amènent très rapidement le fondateur du nouveau régime à donner une plénitude de pouvoir au détenteur de la fonction présidentielle.
Si l’exercice du pouvoir se remarque surtout dans les domaines régaliens (règlement de la question algérienne, politique étrangère, politique monétaire) jusqu’en 1962, l’instauration du suffrage universel comme mode d’élection accroît la légitimité du Président et partant son droit à intervenir y compris dans les affaires intérieures.
Sur un plan politique, la dérive vers un pouvoir présidentiel apparaît également dès les débuts du régime : c’est le Président qui désigne officieusement les principaux ministres qu’il veut voir participer au gouvernement, alors que dans la lettre de la Constitution, c’est le Premier ministre qui désigne les membres de son équipe.
La Constitution serait dès lors respectée à la lettre uniquement en période de cohabitation, puisque le Premier ministre peut alors imposer son gouvernement au chef de l’État.
La cohabitation ne serait donc pas une hérésie, mais un retour aux sources du régime.
B. La cohabitation n’est qu’une modalité de l’exercice du pouvoir exécutif
L’idée développée ici est la conséquence de la précédente : s’il existait une interrogation sur le détenteur du pouvoir en 1958, les constituants avaient de toute façon, dès l’origine, prévu un système de contre-pouvoir limitant l’influence du Président de la République. Dire que la cohabitation serait une hérésie reviendrait à dire que dès l’origine, le régime devait être présidentiel. Or, l’analyse constitutionnelle montre le contraire : il existe plusieurs dispositifs qui limitent le pouvoir du Président. Dès lors, la cohabitation n’est qu’une modalité supplémentaire de limitation du pouvoir du Président, mais non une hérésie.
Suite réservée à nos stagiaires…
Annales IFiP droit public 2012, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit public 2012, Sujet, Conseil d’État, 3 octobre 2008
N° 297931
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Stirn, président
M. Richard Senghor, rapporteur
M. Aguila Yann, commissaire du gouvernement
lecture du vendredi 3 octobre 2008
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 4 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la COMMUNE D’ANNECY, représentée par son maire ; la COMMUNE D’ANNECY demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le décret n° 2006-993 du 1er août 2006 relatif aux lacs de montagne pris pour l’application de l’article L. 145-1 du code de l’urbanisme ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 12 000 euros au titre de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et l’article 34 ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,
– les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le décret du 1er août 2006, pris pour l’application de l’article L. 145-1 du code de l’urbanisme, issu de l’article 187 de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, introduit de nouvelles dispositions dans la partie réglementaire du code de l’urbanisme, relatives à la délimitation, autour des lacs de montagne, des champs d’application respectifs des dispositions particulières à la montagne et des dispositions particulières au littoral, aux termes desquelles : (…) Article R. 145-11. – La délimitation du champ d’application, autour des lacs de montagne de plus de mille hectares, des dispositions du présent chapitre et des dispositions particulières au littoral figurant au chapitre VI du présent titre est effectuée soit à l’initiative de l’Etat, soit à l’initiative concordante des communes riveraines du lac. / Article R. 145-12. – I. – Lorsque la délimitation est effectuée à l’initiative de l’Etat, le préfet adresse aux communes riveraines du lac un dossier comprenant : / a) Un plan de délimitation portant sur l’ensemble du lac ;/ b) Une notice exposant les raisons, tenant au relief, à la configuration des lieux, bâtis et non bâtis, à la visibilité depuis le lac, à la préservation sur ses rives des équilibres économiques et écologiques ainsi qu’à la qualité des sites et des paysages, pour lesquelles la délimitation proposée a été retenue. / L’avis des communes est réputé émis si le conseil municipal ne s’est pas prononcé dans le délai de deux mois à compter de l’envoi du projet au maire. / II. – Lorsque la délimitation est effectuée à l’initiative des communes, celles-ci adressent au préfet le dossier prévu au I du présent article, accompagné de la délibération de chaque conseil municipal. / Article R. 145-13. – Le dossier, accompagné des avis ou propositions des conseils municipaux, est soumis à enquête publique par le préfet dans les conditions prévues par les articles R. 123-7 à R. 123-23 du code de l’environnement. / A l’issue de l’enquête publique, le préfet adresse au ministre chargé de l’urbanisme le dossier de délimitation ainsi que le rapport du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête et une copie des registres de l’enquête. / Article R. 145-14. – Le décret en Conseil d’Etat approuvant la délimitation est publié au Journal officiel de la République française. Il est tenu à la disposition du public à la préfecture et à la mairie de chacune des communes riveraines du lac. Il est affiché pendant un mois à la mairie de chacune de ces communes. ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que l’article 34 de la Constitution prévoit, dans la rédaction que lui a donnée la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que la loi détermine les principes fondamentaux (…) de la préservation de l’environnement ; qu’il est spécifié à l’article 7 de la Charte de l’environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la même loi constitutionnelle que Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. ; que ces dernières dispositions, comme l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, et à l’instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; qu’elles s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ;
Considérant que les dispositions précitées, issues de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, ont réservé au législateur le soin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles doit s’exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ; qu’en conséquence, ne relèvent du pouvoir réglementaire, depuis leur entrée en vigueur, que les mesures d’application des conditions et limites fixées par le législateur ; que, toutefois, les dispositions compétemment prises dans le domaine réglementaire, tel qu’il était déterminé antérieurement, demeurent applicables postérieurement à l’entrée en vigueur de ces nouvelles normes, alors même qu’elles seraient intervenues dans un domaine désormais réservé à la loi ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, depuis la date d’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, une disposition réglementaire ne peut intervenir dans le champ d’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement que pour l’application de dispositions législatives, notamment parmi celles qui figurent dans le code de l’environnement et le code de l’urbanisme, que celles-ci soient postérieures à cette date ou antérieures, sous réserve, alors, qu’elles ne soient pas incompatibles avec les exigences de la Charte ;
Considérant, d’une part, que l’article L. 110-1 du code de l’environnement, qui se borne à énoncer des principes dont la portée a vocation à être définie dans le cadre d’autres lois, ne saurait être regardé comme déterminant les conditions et limites requises par l’article 7 de la Charte de l’environnement ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 145-1 du code de l’urbanisme : (…) Autour des lacs de montagne d’une superficie supérieure à 1 000 hectares, un décret en Conseil d’Etat délimite, après avis ou sur proposition des communes riveraines, en tenant notamment compte du relief, un secteur dans lequel les dispositions particulières au littoral figurant au chapitre VI du présent titre s’appliquent seules. Ce secteur ne peut pas réduire la bande littorale de 100 mètres définie au III de l’article L. 146-4. Dans les autres secteurs des communes riveraines du lac et situées dans les zones de montagne mentionnées au premier alinéa, les dispositions particulières à la montagne figurant au présent chapitre s’appliquent seules. ; que ces dispositions n’avaient pas pour objet de déterminer les conditions et limites d’application des principes d’accès aux informations et de participation du public s’imposant au pouvoir réglementaire pour la délimitation des zones concernées ; qu’en l’absence de la fixation par le législateur de ces conditions et limites, le décret attaqué du 1er août 2006, dont les dispositions, qui prévoient, outre la mise en œuvre d’une enquête publique, des modalités d’information et de publicité, concourent de manière indivisible à l’établissement d’une procédure de consultation et de participation qui entre dans le champ d’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement, a été pris par une autorité incompétente ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE D’ANNECY est fondée à demander l’annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat le versement à la COMMUNE D’ANNECY d’une somme de 3 000 euros au titre des frais engagés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le décret du 1er août 2006 est annulé.
Article 2 : L’Etat versera à la COMMUNE D’ANNECY une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE D’ANNECY, au Premier ministre et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Annales IFiP droit public 2012, Corrigé
Faits et procédure
Le 1er août 2006, un décret relatif à la procédure d’élaboration des décisions de délimitation des zones de protection autour des grands lacs de montagne, a été publié en application de l’article L. 145-1 du code de l’urbanisme, article lui-même issu de la loi n°2005-157 du 23 février 2005.
Les articles R. 145-11 à R. 145-14 de ce décret énoncent une modification du processus de délimitation des zones de protection autour des grands Lacs de montagne. Les délimitations pourraient désormais se faire sur l’initiative des préfets et des communes, après consultation des conseils municipaux et la soumission du dossier à une enquête publique. Ensuite, les mesures adoptées devaient être approuvées par un décret du Conseil d’État et seulement alors mises à la disposition du public dans les mairies et les préfectures concernées.
De telles dispositions remettent en cause l’article 7 de la Charte de l’environnement qui prévoit le libre accès et la participation du public aux décisions ayant trait à l’environnement.
C’est pourquoi, trois jours après la promulgation du décret, la commune d’Annecy, ayant estimé que celui-ci restreignait la protection de l’environnement, saisit le Conseil d’État d’une requête en annulation en date du 4 octobre 2006 de ce dernier pour excès de pouvoir.
Solution
Le juge administratif suprême fait droit à sa demande et annule le décret du 1er octobre 2006.
L’arrêt Commune d’Annecy confirme la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement (I) et réaffirme la place de la loi dans la hiérarchie des normes (II).
I. La confirmation de la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement
Le Conseil d’État avait déjà reconnu la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement de 2004 (A) et il la confirme (B).
A. La reconnaissance de la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement
Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont depuis longtemps reconnu la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et des textes ou principes auxquels il renvoie : déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (CE, Section, 12 février 1960, Société Eky, n° 46922, 46923 ; CC, 27 décembre 1973, n°73-51 DC) ; préambule de la Constitution de 1946 (CC, 15 janvier 1975, n°74-54 DC ; CE, Assemblée, 8 décembre 1978, GISTI, CFDT, CGT, n°10097, 10677, 10679) ; principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (CE, Assemblée, 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, n°26638 ; CC, 16 juillet 1971, 71-44 DC).
Dans la continuité de cette jurisprudence, la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement de 2004, qui est mentionnée dans le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 depuis la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, a été reconnue (CE, 6 avril 2006, Ligue pour la protection des oiseaux ; CC, 19 juin 2008, n° 2008-564 DC).
Certes, il faut noter qu’une partie de la doctrine conteste cette valeur constitutionnelle de la Charte : elle estime que les dispositions de la Charte ne sont pas toutes assez précises et impératives, en l’occurrence, l’article 7 sur le « principe de participation » est rédigé en termes généraux.
Cette reconnaissance est maintenant parachevée avec la présente décision du CE en assemblée plénière.
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Pour aller plus loin