QPC: la saisine du Conseil constitutionnel est élargie
Le décret n° 2010-148 du 18 février 2010 parachève la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 à propos de la saisine du Conseil constitutionnel.
À partir du 1er mars 2010, tout justiciable , à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction administrative comme judiciaire, peut faire valoir « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit » (article 61-1 de la Constitution).
La demande du justiciable est appelée « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC). Elle doit alors être examinée « sans délai » par les juridictions de fond. Celles-ci vont surseoir à statuer et transmettre la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation sous trois conditions (posées par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution):
- la disposition contestée est applicable au litige.
- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution.
- elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux.
Le Conseil d’État ou la Cour de cassation (selon que le litige est soumis à la juridiction administrative ou judiciaire) sont chargés, dans un délai de trois mois, de vérifier ces conditions . Si elles sont remplies, la question doit être transmise au Conseil constitutionnel qui dispose lui-même également d’un délai de trois mois, pour se prononcer.
Si le Conseil constitutionnel juge la loi conforme à la Constitution, le procès interrompu reprend devant la juridiction de base. Dans le cas contraire, la loi est abrogée et tous les procès commencés sur cette base légale prendront fin.
Mais avant même d’être examinée par l’une de ces hautes juridictions, la requête d’un justiciable doit, on l’a dit, passer le filtre du juge du fond. Et c’est l’objet du décret n° 2010-148 du 16 février 2010 de préciser « les modalités procédurales selon lesquelles les questions prioritaires de constitutionnalité devront être présentées par les parties et examinées par le juge ».
Rappelons que:
- jusqu’en 1974, seuls le Président de la République, le Premier Ministre, les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pouvaient saisir le Conseil constitutionnel afin qu’il statue sur une loi votée au Parlement, mais pas encore promulguée (par définition) et se prononce sur son éventuelle inconstitutionnalité. C’est en 1974 seulement que la saisine a été élargie à 60 députés ou sénateurs.
- jusqu’à aujourd’hui, le contrôle de constitutionnalité était donc un contrôle a priori, c’est à dire avant que la loi ne soit promulguée. Il était tout à fait possible d’imaginer qu’une loi contenant des dispositions inconstitutionnelles fût votée et promulguée et applicable, faute de saisine. La seule manière alors d’écarter la loi était l’abrogation de celle-ci.
Désormais, tout justiciable peut donc – sous conditions – attaquer une loi dont les dispositions lui paraîtraient inconstitutionnelles.
Nous n’irons pas jusqu’à résumer que la réforme permet à « n’importe qui, n’importe quand » de remettre en cause la loi, mais…
Déjà, les avocats fourbissent leurs armes pour attaquer les lois relatives à la garde à vue. Ce ne sont là que les premiers. Chacun pourra à l’occasion d’un litige poser une QPC en se fondant sur le bloc de constitutionnalité et soulever ainsi une atteinte aux droits fondamentaux.
À terme, deux conséquences possibles: l’engorgement du Conseil constitutionnel et son évolution vers un statut de Cour suprême à l’image des modèles allemand ou américain. En effet, puisque désormais, à condition que le litige s’y prête, tout justiciable peut poser une QPC, le risque est grand d’une augmentation progressive de requêtes, même filtrées par la juridiction du fond puis le Conseil d’État ou la Cour de cassation. D’autre part, si ce scénario se réalise, le travail du Conseil se portera toujours plus en aval qu’en amont: en proportion, son activité se décentrera du contrôle a priori (la saisine après le vote de la loi) vers le contrôle a posteriori (la saisine à l’occasion d’un litige). De ce fait, le Conseil constitutionnel s’érigera un peu plus en Cour suprême.
La réforme voulue par Robert Badinter dès 1989 – il est alors président du Conseil constitutionnel – puis le comité Vedel en 1993 parvient enfin à sortir des limbes parlementaires.
Jack Lang, ancien ministre socialiste et constitutionnaliste entre deux mandats électoraux, a été un ardent défenseur de cette disposition.
La loi portant réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a été adoptée à une voix près.
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