Les annales de droit public au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2013 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition en droit constitutionnel portant sur les modifications induites par le quinquennat
- un commentaire d’arrêt portant sur la voie de fait
Annales IFiP droit public 2013, Composition
Annales IFiP droit public 2013, Sujet “Les modifications institutionnelles induites par le quinquennat”
À l’origine, lorsque la Constitution de la Ve République est adoptée le 4 octobre 1958, les rédacteurs fixent à sept ans la durée du mandat du Président de la République. Schématiquement, ce choix s’explique par trois considérations.
L’une, historique, consiste à s’inscrire dans la continuité des autres régimes républicains. En effet, sous la IIIe République, le Président de la République est élu par le Parlement pour une durée de sept ans renouvelable, et sous la IVe République, ce mandat est toujours de sept ans mais non renouvelable.
La seconde raison est politique : il s’agit, avec une durée longue – que l’on compare aux quatre ans du mandat américain – de pouvoir mener une politique de long terme.
La dernière raison tient à l’ambiguïté même du régime à l’origine : le Président étant conçu comme un arbitre entre Parlement et Gouvernement, il était légitime qu’il fût élu pour une longue durée afin d’assurer une continuité dans l’équilibre des pouvoirs.
Plusieurs facteurs vont expliquer le passage au quinquennat à la suite du référendum du 24 septembre 2000 (approuvant la réforme à 73 % pour près de 70 % d’abstention) : la double cohabitation de 1993-1995 et 1997-2002, la volonté de renouveler plus rapidement le corps politique, la croyance en davantage de dynamisme.
Au-delà des pensées partisanes, il faut donc s’interroger sur la durée du mandat, issue de la réforme de 2000 : le quinquennat a transformé plus en profondeur qu’on ne pouvait l’imaginer la Ve République. La durée du mandat serait ainsi liée à la nature même du régime.
Si les critiques à l’encontre du quinquennat peuvent être désamorcées par des mesures techniques (I), il reste que la nature de la Ve République a été atteinte par la réduction du mandat, une refonte de la durée paraît nécessaire (II).
I. La durée du mandat présidentiel est indifférente aux aléas politiques
Pour comprendre l’enjeu de la question posée, il faut avoir à l’esprit les critiques adressées au quinquennat et voir que des mesures simples peuvent les écarter (B). Par ailleurs, le quinquennat présente plusieurs avantages qui ont expliqué sa mise en place (A).
A. La stabilité politique offerte par le quinquennat
Le maintien du quinquennat peut d’abord se justifier par l’argument de la stabilité, celui-là même utilisé pour le mettre en œuvre. En effet, les deux cohabitations, en particulier, la seconde la plus longue soit cinq ans, ont largement dénaturé l’esprit de la Ve République. S’il y avait une ambiguïté sur la fonction présidentielle, elle a vite été dissipée : le fondateur du régime s’est progressivement arrogé la réalité du pouvoir exécutif, installant de fait une véritable dyarchie avec le Premier ministre. Cette prééminence présidentielle a certes été l’effet de la pratique politique, mais elle s’inscrivait parfaitement avec la vision posée : celle d’un régime stable avec des projets au long cours.
Or les deux cohabitations ont largement remis en cause ce pilier du régime qu’est la fonction présidentielle : elles ont affaibli celle-ci. Certes, la pratique a laissé une certaine marge de manœuvre au Président de la République en temps de cohabitation dans des « domaines réservés » à savoir la dissuasion nucléaire et les affaires étrangères, mais d’une portée limitée en réalité.
Il était donc naturel que l’on renouât avec l’orthodoxie originelle : un pouvoir présidentiel fort. Pour cela, il suffisait de « coupler » les élections présidentielles et législatives, ce qui nécessitait de réduire la durée du mandat présidentiel (ou plus hypothétiquement d’allonger celle du mandat parlementaire). D’où l’idée de quinquennat. Or il faut bien souligner que la première présidence après l’application de la réforme a pleinement tenu ses promesses : le mandat de N. Sarkozy (2007 – 2012) est désormais associé à une « hyperprésidence » ravalant même son Premier ministre (F. Fillon) au rang de « collaborateur ».
Suite réservée à nos stagiaires…
Annales IFiP droit public 2013, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit public 2013, Sujet: Conseil d’État, 23 janvier 2013
Conseil d’État
N° 365262
ECLI:FR:CEORD:2013:365262.20130123
Publié au recueil Lebon
Juge des référés
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD ; SCP PEIGNOT, GARREAU, BAUER-VIOLAS, avocat(s)
Lecture du mercredi 23 janvier 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 17 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par la commune de Chirongui, représentée par son maire ; la commune demande au juge des référés du Conseil d’État :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 1200743 du 29 décembre 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint de faire cesser immédiatement les travaux qu’elle a entrepris sur la parcelle dont la propriété est revendiquée par Mme A.…B.… à Malamani ;
2°) de mettre à la charge de Mme B.… la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
– le juge des référés de première instance a méconnu le principe du contradictoire garanti par les articles L. 5 et L. 522-1 du code de justice administrative en ne lui laissant pas un délai suffisant pour produire une défense écrite ou organiser sa présence à l’audience ;
– la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que les travaux ont débuté à l’issue d’une procédure de discussion et de négociation préalable ;
– le titre de propriété revendiqué par Mme B… n’étant pas définitivement établi, les travaux entrepris ne portent aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2013, présenté pour Mme B…, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Chirongui au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que :
– le principe du contradictoire a été respecté dès lors que le délai laissé à la commune pour produire une défense écrite ou organiser sa présence à l’audience était suffisant ;
– la condition d’urgence est remplie dès lors que la réalisation des travaux entrepris par la commune emportera des conséquences difficilement réversibles ;
– les travaux contestés portent une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la commune de Chirongui et, d’autre part, Mme B…;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 21 janvier 2013 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Garreau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Chirongui, qui déclare renoncer au moyen tiré du défaut d’urgence ;
– Me Barthélemy, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocat de Mme B… ; les parties ayant été invitées à l’audience à présenter leurs observations sur la question d’ordre public de la compétence du juge administratif des référés pour ordonner des mesures visant à faire cesser une voie de fait ; et à l’issue de laquelle le juge des référés a clôturé l’instruction ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.
Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » ;
2. Considérant que Mme A…B…a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu’il ordonne à la commune de Chirongui de faire cesser immédiatement les travaux entrepris sur une parcelle dont Mme B…estime être propriétaire dans le village de Malamani qui dépend de cette commune ; que, par l’ordonnance du 29 décembre 2012 dont la commune fait appel, le juge des référés a fait droit à cette demande ;
Sur la régularité de l’ordonnance attaquée :
3. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 522-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale » et que, selon l’article L. 5 de ce code : « L’instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence » ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le juge des référés a été saisi de la demande de Mme B…dans la soirée du 27 décembre 2012 ; que cette demande et l’avis d’audience ont été communiqués par télécopie, le 28 décembre 2012 vers 1 heure, à la commune de Chirongui, l’audience étant fixée le 29 décembre 2012 à 9 heures ; qu’un tel délai, qui laissait à la commune la journée du vendredi 28 pour préparer sa défense et organiser sa présence à l’audience, était adapté aux nécessités de l’urgence ; que, dès lors, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure suivie en première instance doit être écarté ;
Au fond :
5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme B…, qui occupait une parcelle d’environ un hectare à Malamani, a demandé à la collectivité de Mayotte, devenue le Département de Mayotte, de reconnaître son droit de propriété sur cette parcelle, dans le cadre des opérations de régularisation foncière entreprises par cette collectivité, où il n’existait pas de cadastre ;
que la commission du patrimoine et du foncier du conseil général a rendu, le 25 juin 2010, un avis favorable à cette reconnaissance, au vu de l’avis également favorable de la commune de Chirongui sur le territoire de laquelle se situe cette parcelle ; que, le même jour, le président du conseil général a requis du conservateur de la propriété foncière l’immatriculation de cette parcelle, référencée AR 50136, qui jusque-là était réputée appartenir au domaine privé de la collectivité de Mayotte, en précisant qu’après immatriculation elle serait mutée au nom de Mme B…, désormais propriétaire au terme de la procédure de régularisation foncière ; que cette régularisation a été approuvée par délibération de la commission permanente du 22 novembre 2010 ; que toutefois la commune de Chirongui a entrepris des travaux sur ce terrain, au mois de novembre 2012, en vue de réaliser un lotissement à caractère social ; que les premiers travaux ont notamment consisté à supprimer la végétation qui le recouvrait ;
6. Considérant que, sous réserve que la condition d’urgence soit remplie, il appartient au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d’une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d’une voie de fait ;
7. Considérant, en premier lieu, que la commune se prévaut, pour justifier sa décision d’engager les travaux litigieux sur ce terrain, d’une délibération du 10 mai 2012 par laquelle la commission permanente du conseil général a décidé de lui céder des parcelles appartenant au Département en vue de permettre la réalisation de ce lotissement ; qu’il est cependant constant, d’une part, que la parcelle AR 50136 ne figure pas parmi celles dont la cession est ainsi prévue à l’article 3 de cette délibération ; que, d’autre part, après avoir rappelé que «le conseil général considère comme propriétaire à part entière » les personnes qui, comme Mme B…, ont bénéficié de l’opération de régularisation foncière, l’article 8 de la même délibération dispose que « ces personnes doivent automatiquement bénéficier de lot(s) dans le lotissement … en fonction de la valeur et de la superficie de leurs parcelles concernées par le projet » : que toutefois une telle mention ne saurait autoriser la commune de Chirongui, faute d’accord de Mme B…à l’échange ainsi prévu, à entreprendre des travaux sur cette parcelle ; que la circonstance, invoquée par la commune, qu’elle a fait opposition au bornage de la parcelle en cause ne saurait lui conférer un titre l’autorisant à y réaliser des travaux sans l’accord de l’intéressée ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que le premier juge a estimé que la commune de Chirongui avait porté au droit de propriété de Mme B… une atteinte grave et manifestement illégale ;
9. Considérant, en second lieu, que, dans le dernier état de ses conclusions, telles qu’elles ont été précisées à l’audience, la commune ne conteste pas que la condition particulière d’urgence requise par les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune appelante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou a fait droit à la demande de Mme B… ; que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu’être rejetées ; qu’en revanche, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à Mme B… d’une somme de 2 000 euros en application de ces mêmes dispositions ;
O R D O N N E :
——————
Article 1er : La requête de la commune de Chirongui est rejetée.
Article 2 : La commune de Chirongui versera à Mme B…une somme de 2 000 euros au titre
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Chirongui et à Mme A… B….
Annales IFiP droit public 2013, Corrigé
Les faits
Dans le cadre des opérations de régularisation foncière du département de Mayotte, Mme B. sollicite la reconnaissance de son droit de propriété sur une parcelle située sur le territoire de la commune de Chirongui.
Par une délibération du 22 novembre 2010, le conseil général approuve cette régularisation. Mme B. devient ainsi propriétaire de cette parcelle qui appartenait jusqu’alors au domaine privé de la commune de Chirongui.
Or, en dépit de cette régularisation, ladite commune entreprend au cours du mois de novembre 2012 des travaux sur ce terrain en vue de réaliser un lotissement à caractère social, notamment des travaux de défrichage.
La procédure
La requérante saisit alors en urgence le tribunal administratif de Mamoudzou. Le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou, statue sur le fondement de l’article L. 521-2 CJA (référé-liberté) et enjoint à la commune de faire cesser immédiatement les travaux.
La commune de Chirongui conteste cette décision et demande au juge des référés du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance du tribunal administratif.
La question de droit
Quel juge est compétent en matière de voie de fait ?
La solution
Le Conseil d’État reconnaît la compétence du juge administratif en matière de voie de fait, sous la condition d’urgence.
Le juge administratif se voit reconnaître une compétence étendue l’autorisant plus largement à statuer sur la voie de fait (I). Le Tribunal des conflits amplifie cette évolution en restreignant la définition de la voie de fait relevant de la compétence judiciaire (II).
I. La compétence des tribunaux administratifs reconnue en cas de voie de fait
Le sens de cet arrêt consiste à préciser que le juge administratif peut statuer en urgence en matière de voie de fait (A) ce qui était jusqu’ici, la « chasse gardée » du juge judiciaire (B).
A. Le juge judiciaire traditionnellement compétent en matière de voie de fait
La voie de fait est une construction prétorienne et peut être définie comme une atteinte à une liberté fondamentale ou à un droit de propriété par l’administration.
Selon le Tribunal des conflits, sous l’empire de sa jurisprudence avant le 17 juin 2013, il n’y a « voie de fait, justifiant par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, que dans la mesure où l’Administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets, à la condition toutefois que cette décision soit elle-même manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative» (TC, 19 janv. 2004, Sté CLPK Aircraft Funding c./ Aéroport de Paris).
Deux hypothèses étaient donc à distinguer.
§ La voie de fait existe lorsque l’administration procède dans des conditions irrégulières, à l’exécution d’une décision, même régulière, portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale (TC, 8 avril 1935, Action française ; TC, 23 octobre 2000, Boussadar).
§ La voie de fait existe lorsque l’administration prend une décision manifestement insusceptible d’être rattachée à l’exécution d’un texte législatif ou réglementaire, ou plus généralement, à un pouvoir appartenant à l’administration.
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Pour aller plus loin