Les annales de droit public au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2014 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition en droit constitutionnel portant sur la place du Sénat
- un commentaire d’arrêt portant sur la responsabilité administrative
Annales IFiP droit public 2014, Composition
Annales IFiP droit public 2014, Sujet “L’existence du Sénat se justifie-t-elle encore de nos jours ?”
En 1998, Lionel Jospin avait qualifié le Sénat, « d’anomalie démocratique ». Il s’était justifié en disant qu’il existe deux types de secondes chambres, celles des États fédéraux, les États-Unis, l’Allemagne élues au suffrage universel qui « représentent la diversité d’un pays fédéral » et « des chambres héritées des vieilles chambres aristocratiques » devenues « des chambres conservatrices ».
C’est à cette deuxième catégorie qu’appartiendrait selon Jospin, le Sénat français. Cela explique que des voix se font régulièrement entendre en vue du suppression pure et simple du Sénat. Les citoyens eux-mêmes se demandent parfois à quoi peut servir une deuxième chambre.
Pour d’autres cependant, le Sénat n’est pas une anomalie démocratique : de très nombreuses démocraties ont opté pour le bicamérisme, avec des secondes chambres parfois moins modernes que le Sénat. Ainsi, il apparaît que si le Sénat peut être un gage de démocratie (l), cela implique sans doute qu’il soit modernisé (ll).
I. Une institution régulatrice
Le Sénat joue un rôle important dans l’élaboration de la loi (A) et permet d’assurer la représentation des territoires de la république (B).
A. Un gage de démocratie
Doté d’un simple pouvoir consultatif sous la IVe République, c’est avec la Constitution de la Ve République que le Sénat retrouve, en 1958, un véritable pouvoir législatif. La Ve République perpétue une longue tradition constitutionnelle française lancée il y a deux siècles, à la suite de la Révolution française. Sa responsabilité première est de préserver les équilibres nécessaires à l’élaboration des lois.
Le bicamérisme implique un examen contradictoire et plus approfondi des textes avec des yeux différents. Les textes doivent être votés dans des termes identiques par les deux chambres. Si aucun accord n’est trouvé, le gouvernement peut convoquer une commission mixte paritaire (CMP) en charge de trouver un compromis. Si le travail de la CMP n’aboutit pas à un texte de consensus ou si le texte n’est pas voté par l’une des chambres, le gouvernement est alors le seul à pouvoir débloquer le processus législatif en demandant à l’Assemblée nationale de statuer en dernier ressort.
En outre, on peut considérer le Sénat ne représente pas seulement les territoires, mais aussi les citoyens. Dans tous les cas, ce sont les citoyens qui sont représentés, soit en tant qu’individus, soit au travers de leur vie locale. Par ailleurs, on peut rappeler que le président du Sénat dispose en de pouvoirs politiques importants : il assure la présidence de la République en cas de vacances du pouvoir ou d’empêchement constaté et nomme un tiers des membres du Conseil constitutionnel.
Suite réservée à nos stagiaires…
Annales IFiP droit public 2014, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit public 2014, Sujet: Conseil d’État, 10 février 2014
Conseil d’État
N° 361280
ECLI:FR:CESSR:2014:361280.20140210
Publié au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Charles Touboul, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats
Lecture du lundi 10 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l’ordonnance n° 10MA03501 du 17 juillet 2012, enregistrée le 23 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, par laquelle le président de la cour administrative d’appel de Marseille a transmis au Conseil d’État, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par Mme B…A… ;
Vu le pourvoi, enregistré le 7 septembre 2010 au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille et les mémoires complémentaires, enregistrés les 9 octobre 2012 et 7 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour Mme B…A…, demeurant… ; Mme A…demande au Conseil d’État :
1°) de renvoyer l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille ;
2°) subsidiairement, d’annuler le jugement n° 0606981 du 30 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a partiellement fait droit à sa demande tendant à ce que la communauté urbaine Marseille Provence Métropole soit déclarée responsable des dommages subis par son habitation à la suite de fuites d’eau en 2004 et 2005 ;
3°) de mettre à la charge de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole le versement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Charles Touboul, Maître des Requêtes,
– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de Mme A…et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la société communauté urbaine Marseille Provence Métropole ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la maison d’habitation dont Mme A…est propriétaire à Plan-de-Cuques (Bouches-du-Rhône) a subi des inondations successives en 2004 et en 2005, causant des désordres affectant dans un premier temps les murs, le portail électrique et le sous-sol, puis la solidité de l’immeuble ; que Mme A… ayant recherché la responsabilité sans faute de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, maître d’ouvrage du réseau de distribution d’eau potable de la commune, dont elle a la gestion, le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 30 juin 2010, reconnu la responsabilité de la communauté urbaine en limitant à 30 % sa part de responsabilité ; que, saisi d’un recours de Mme A… contestant cette atténuation de responsabilité et de conclusions incidentes de la communauté urbaine contestant le principe de sa responsabilité et l’évaluation des préjudices retenue par le tribunal, le président de la cour administrative d’appel de Marseille a transmis le dossier au Conseil d’État sur le fondement de l’article R. 351-2 du code de justice administrative ;
Sur la compétence du Conseil d’État :
2. Considérant qu’il résulte des dispositions combinées du 7° de l’article R. 222-13 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article R. 811-1 du même code que le tribunal administratif statue à juge unique, en premier et dernier ressort, ” sur les actions indemnitaires, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ” ; que ce montant, fixé par le premier de ces articles à 8 000 euros puis porté à 10 000 euros à compter du 1er janvier 2007, est déterminé, selon l’article R. 222-15, ” par la valeur totale des sommes demandées dans la requête introductive d’instance ” et que, selon ce même article, ” Le magistrat n’est compétent pour statuer en application du 7° de l’article R. 222-13 que si aucune demande accessoire, incidente ou reconventionnelle n’est supérieure au taux de sa compétence ” ;
3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qui, contrairement à ce que soutient Mme A…, ne méconnaissent pas le principe d’égalité et ne sont entachées d’aucune erreur manifeste d’appréciation, que les actions indemnitaires ayant donné lieu à une évaluation chiffrée dans la requête introductive d’instance devant le tribunal administratif à un niveau inférieur au montant prévu à l’article R. 222-14 entrent dans le champ des dispositions du 7° de l’article R. 222-13 et du deuxième alinéa de l’article R. 811-1 du code de justice administrative attribuant compétence au délégué du président du tribunal administratif pour y statuer en premier et dernier ressort ; que la circonstance que la requérante ait pu présenter ensuite une demande supérieure à ce montant, y compris, le cas échéant, en raison d’une aggravation du dommage survenue en cours d’instance, est sans incidence sur l’application de ces dispositions dès lors qu’une telle réévaluation ne saurait être regardée comme une demande accessoire, incidente ou reconventionnelle ;
4. Considérant que, dans sa requête introductive d’instance enregistrée le 16 octobre 2006 au greffe du tribunal administratif de Marseille, Mme A… a présenté des conclusions tendant à la condamnation de la communauté urbaine de Marseille à lui verser une indemnité de 3 632,46 euros en réparation des préjudices qu’elle a subis ; qu’ainsi, nonobstant la réévaluation, en cours d’instance, de ses conclusions à un montant supérieur au seuil mentionné à l’article R. 222-14, motivée par une aggravation du dommage survenue en cours d’instance, le litige entrait dans le champ d’application des dispositions du 7° de l’article R. 222-13 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article R. 811-1 du même code et était donc au nombre de ceux sur lesquels le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort ; qu’il suit de là que la requête de Mme A… tendant à l’annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille n’a que partiellement fait droit à sa demande doit être regardée comme un pourvoi en cassation ; que c’est ainsi à bon droit que le président de la cour administrative d’appel de Marseille l’a transmise au Conseil d’État ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Considérant que le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; qu’il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure ; que, dans le cas d’un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l’ouvrage, sauf lorsqu’elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime ; qu’en dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable ;
6. Considérant que pour atténuer la responsabilité de la communauté urbaine, le jugement attaqué relève qu’il ressort des constatations de l’expert que si les dégradations affectant la maison de Mme A… ont été déclenchées à la suite des fuites sur le réseau d’eau communal, ” le mode constructif médiocre de la villa ainsi que sa situation sur le versant est d’un coteau entraînant une humidité naturelle et la vulnérabilité au ruissellement dus aux pluies sont la cause première de l’origine des désordres, les diverses inondations dues aux ruptures de réseau ne constituant qu’une cause aggravante ” ; qu’en déduisant de ces éléments, qui ne permettaient pas de caractériser une faute de Mme A…, que la responsabilité de la communauté urbaine n’était que partiellement engagée à son égard, alors qu’il avait constaté que les dommages trouvaient leur cause dans les fuites de canalisations du réseau d’eau et que la fragilité et la vulnérabilité de l’immeuble endommagé ne pouvaient être prises en compte que pour évaluer le préjudice subi par son propriétaire, le tribunal a commis une erreur de droit ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, Mme A… est fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque ; que, par suite, il n’y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de la communauté urbaine de Marseille ;
8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’allouer à Mme A… une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme A… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 30 juin 2010 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Marseille.
Article 3 : La communauté urbaine de Marseille Provence Métropole versera à Mme A… une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Il n’y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de la Communauté urbaine de Marseille Provence Métropole dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Marseille du 30 juin 2010.
Article 5 : Les conclusions présentées par la Communauté urbaine de Marseille Provence Métropole au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B… A…et à la Communauté urbaine de Marseille Provence Métropole.
Annales IFiP droit public 2014, Corrigé
Les faits
Madame B… A…, propriétaire d’un bien immobilier, a subi des inondations successives. Celles-ci ont causé des dommages quant aux murs, au portail électrique et au sous-sol de cette propriété entraînant par la suite un affaiblissement de la structure entière de l’immeuble.
Or ces inondations sont dues à une rupture du réseau de canalisations de la communauté urbaine de Marseille.
Madame B… A… décide donc de rechercher la responsabilité sans faute de la communauté urbaine de Marseille et saisit la juridiction administrative.
La procédure
Le tribunal administratif de Marseille reconnaît la responsabilité de la communauté urbaine de Marseille mais évalue à seulement 30 % la responsabilité de cette dernière.
Madame B… A… considère qu’une telle évaluation revient dans les faits à atténuer la responsabilité de la personne publique. La requérante décide donc d’interjeter appel du jugement du tribunal administratif : la cour d’appel administrative, au regard de la somme en jeu estime que le tribunal administratif est compétent en premier et dernier ressort, il requalifie donc cet appel en pourvoi en cassation. C’est dans ces conditions que le Conseil d’État est saisi.
La question de droit
Le maître d’ouvrage peut-il être responsable pour des dommages causés à des tiers par les ouvrages publics dont il a la garde en cas de faute de la victime ?
La solution
Le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure. En l’espèce, la haute juridiction considère que la fragilité d’un immeuble ne saurait caractériser une faute de la part de la victime, elle annule donc le jugement du tribunal administratif.
Cet arrêt du 10 février 2014 montre l’attachement du Conseil d’État à préserver le principe de la responsabilité sans faute en matière de dommages de travaux publics (I) en distinguant clairement évaluation du dommage et engagement de la responsabilité (II).
I. L’application du régime de responsabilité sans faute
En cas de dommages résultant de travaux publics, l’État peut voir sa responsabilité sans faute engagée (A) mais dispose de moyens d’exonérations (B).
A. Les conditions d’engagement de la responsabilité sans faute en matière de travaux publics
Le contentieux des dommages de travaux publics concerne les dommages subis au cours de l’exécution ou de la non-exécution de travaux publics et ceux causés par la présence et le fonctionnement d’un ouvrage public.
Il convient de distinguer deux types de dommages de travaux publics :
§ Les dommages permanents
§ Les dommages accidentels
Par principe, en cas de dommage permanent de travaux publics, le régime de responsabilité relève du régime de la responsabilité sans faute. La difficulté réside dans la difficulté pour l’usager, victime, de démontrer l’existence d’un préjudice anormal et spécial.
Autrement dit, il faut démontrer pour la victime que le préjudice excède les inconvénients normaux que subissent tous les usagers et que la victime est seule à supporter un préjudice particulier.
Les dommages accidentels de travaux publics résultent d’un fait unique et ponctuel lié à l’exécution de travaux publics.
Dans ce cas trois régimes différents peuvent s’appliquer :
§ La responsabilité à l’égard des participants : Le dommage accidentel de travaux publics est causé à une personne qui participe à la réalisation de ces travaux publics.
§ La responsabilité à l’égard des usagers : Si la victime est un usager, c’est une responsabilité pour faute qui sera engagée, mais elle est de nature particulière : elle sera engagée pour « défaut d’entretien normal de l’ouvrage ». Cela signifie que la faute que va rechercher le juge est ce défaut d’entretien normal de l’ouvrage. Dans le cas de l’ouvrage public, il s’agit d’une faute présumée, cela signifie que dès lors que la victime est un usager, elle n’aura qu’à invoquer le défaut d’entretien normal de l’ouvrage, et c’est à la personne publique qu’il reviendra de renverser l’allégation, en prouvant qu’elle n’a commis aucune faute dans l’entretien de l’ouvrage.
§ La responsabilité à l’égard des tiers. La responsabilité engagée sera sans faute.
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