Le Préfet: une nouvelle aristocratie ?
Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, un discret équipage quitte le Louvre. À peine quelques flambeaux éclairent des visages inquiets. La rumeur qui s’élève d’une ville en révolte énerve les chevaux. Des ordres brefs s’échangent dans la cour du palais. Toute l’attention d’hommes en armes converge vers un enfant de onze ans.
Seules les riches armoiries aux fleurs de lys à moitié dissimulées trahissent l’identité des voyageurs. La Cour fuit. Mazarin, Anne d’Autriche et son fils Louis appelé à régner doivent quitter en catimini la capitale de leur propre royaume.
La Fronde des Parlementaires puis celle des Grands a dit-on marqué à jamais le jeune garçon qui deviendrait Louis XIV. D’aucuns parlent d’humiliation, d’autres de revanche à vie à l’encontre d’une noblesse de robe ou d’épée, trop insolente et très indépendante.
Les sentiments d’un monarque appelé à faire de la représentation en permanence seront toujours difficiles à analyser. Politiquement parlant, il s’avère plus aisé de constater que la noblesse fut toujours historiquement un contrepouvoir.
Rarement le détenteur d’un pouvoir suprême peut se passer d’une caste habilitée à le servir et à recevoir des privilèges en retour. Presque aucun régime ne survit sans cette strate intermédiaire entre le peuple et son chef. Or selon la formule, tout pouvoir corrompt. Il est dans la nature humaine de se rêver calife à la place du calife.
La longue histoire des relations entre noblesse et monarchie est donc la tragique chronologie d’une rivalité.
Alexandre le Grand s’imagine-t-il l’unificateur de l’Orient et de l’Occident ? Sa visite du tombeau du défunt empereur perse Cyrus lui fait-elle croire qu’il doit être un « cosmocrate » et partant, un être sacré ?
Son aristocratie de l’époque aura tôt fait de s’élever contre lui, comme pour le rappeler à des justes proportions de pouvoir. À Opis, son armée se révolte contre une décision incomprise ; en 326 avant Jésus-Christ, son ami de toujours, l’homme qui lui sauva la vie à la bataille de Granique, le général Kleitos meurt de sa propre main, pour avoir osé poser une limite au pouvoir et à sa renommée.
Quant à la vieille garde, également hostile à la poursuite de conquête de l’Asie, elle n’a pas le temps de se rebeller qu’elle se fait assassiner, ainsi Parménion, le mentor, ami de son père, poignardé à l’aube dans son propre camp militaire.
Autres temps, mêmes mœurs… Au plus fort de leurs délires sanguinaires, les empereurs romains doivent s’embarrasser d’une aristocratie frondeuse : les patriciens qui peuplent le Sénat.
Ce sont les Sénateurs qui arment le bras de Brutus afin de barrer la route à un César trop avide de pouvoir suprême. Ce sont également des patriciens qui comploteront contre Néron ou Commode. C’est la même noblesse qui influence les historiographes afin qu’ils dépeignent en bien ou mal l’empereur défunt, selon qu’il a respecté ou non le pouvoir des patriciens.
Deux mille ans plus tard, ce scénario intemporel d’une aristocratie frondeuse autour d’un pouvoir central donne toujours lieu à des représentations dramatiques.
Lorsque le défunt dictateur Ceausescu est évincé, ni le paysan roumain, ni le modeste universitaire bucarestois, ni l’écrivain dissident ne sont à l’origine d’une telle destitution. C’est la nomenklatura qui lance la révolution ou plutôt le coup d’État.
Cette nomenklatura est composée du ramassis de haut dignitaires du régime, issus des meilleurs établissements que le régime a pu conserver et faire prospérer. Ce sont les dirigeants du parti unique, ce sont les chefs d’administration, tous ceux qui gravitent dans l’orbite du pouvoir. C’est l’aristocratie politique du moment. Très proche du pouvoir, suffisamment pour en remplacer le titulaire principal.
La question qui se pose à toute autorité, légitime ou non, est donc : comment constituer un corps de personnes dévouées, attachées à l’État ou à la personne de celui qui le représente ? Comment éviter qu’une aristocratie quelconque, faite de vieux titres héraldiques, d’argent ou de compétence ne s’arroge le propre pouvoir du chef ?
Napoléon apporte une réponse le 17 février 1800. Il crée l’institution préfectorale.
Le Préfet: une création bicentenaire
Le 17 février 1800 (28 pluviôse an VIII), le Premier Consul Bonaparte met en place l’institution préfectorale.
Nommé et révoqué par le Premier Consul (puis l’Empereur), le préfet concentre les pouvoirs exécutifs au sein du département. L’assertion prêtée à Bonaparte à l’occasion de leur première réunion le 15 mars 1800, « Faites que la France date son bonheur de l’institution des préfets » atteste leur rôle de pièce maîtresse dans la réorganisation administrative.
Le préfet est l’héritier de l’intendant d’Ancien Régime – il occupe d’ailleurs parfois les mêmes hôtels que ses prédécesseurs – et est chargé d’une mission d’administration et de surveillance.
Il nomme les maires des villes de moins de 5 000 habitants et propose la nomination des autres au Premier Consul. Si l’appellation se modifie au gré des régimes – « commissaire de la République » sous la IIe République par exemple et à nouveau de 1982 à 1988 – la fonction est conservée.
Les attributions du préfet, déjà définies par un décret du 25 mars 1852, se renforcent du fait de son rôle d’initiateur dans les domaines techniques et économiques sous le Second Empire (création des chemins de fer et des télégraphes). La loi du 10 août 1871 redéfinit les pouvoirs au sein du département entre le préfet qui reste la seule autorité exécutive et le conseil général, élu au suffrage universel et disposant d’une certaine autonomie.
C’est seulement deux siècles après la Révolution française que le département s’affranchit de la tutelle du pouvoir central.
En effet, les lois de décentralisation, dont celle du 2 mars 1982, ôtent au préfet l’essentiel des pouvoirs exécutifs pour les confier à une assemblée élue au suffrage universel, le conseil général. Pour autant, le préfet conserve des attributions essentielles en matière de contrôle de légalité et de police.
Le département: Le socle juridique
Le département reste aujourd’hui le principal niveau administratif français à cause des puissants moyens de déconcentration dont il est doté, et parce qu’il n’est pas tout à fait concurrencé par le nouveau niveau administratif régional. L’organisation départementale actuelle est régie par plusieurs textes importants :
- la loi du 22 décembre 1789, qui crée le département, à partir d’un découpage administratif entièrement nouveau et n’obéissant pas à la logique historique des provinces d’Ancien Régime (alors que la commune remplaçait le plus souvent les anciennes paroisses),
- la loi du 10 août 1871 réorganise le département de manière moderne et décentralisée en le dotant d’un conseil général élu au suffrage universel. Mais l’exécutif départemental reste alors le préfet qui est un organe déconcentré de l’État,
- la loi du 2 mars 1982, qui fait du département une collectivité pleinement décentralisée en confiant le pouvoir exécutif au président élu par le conseil général.
- la loi organique du 13 août 2004 organisant le transfert de certaines compétences.
L’article 72 de la Constitution prévoit qu’un « représentant de l’État […] a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». Ce représentant est le préfet.
Le statut du Préfet
Le statut du corps préfectoral est défini par le décret du 1er octobre 1959. Il dispose que les préfets sont choisis parmi les sous-préfets à raison de quatre nominations sur cinq.
Le décret du 14 mars 1964 pose le principe du recrutement majoritaire des sous-préfets parmi les élèves de l’École nationale d’administration. Cette voie ne fait pas obstacle à l’accession des citoyens non fonctionnaires aux fonctions de sous-préfet et de préfet ; toutefois, ils ne peuvent être titularisés dans ce grade.
Les préfets n’ont ni le droit de faire grève, ni le droit de se syndiquer.
Organisation de l’institution préfectorale
Il existe un préfet par département. La préfecture est implantée dans le chef-lieu du département. Le préfet est nommé par décret du Président de la République, pris en Conseil des ministres, sur proposition du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur. Le préfet :
- est le chef de l’administration préfectorale.
- préside le collège des chefs de service qui comprend les sous-préfets et les chefs des services déconcentrés des administrations civiles placés sous son autorité.
- est assisté par un sous-préfet dans chaque arrondissement du département.
Il convient de distinguer trois catégories de préfet aux attributions distinctes:
- le préfet de région
- le préfet de département
- le préfet maritime
Les attributions du Préfet de région et de département
Le décret n°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements confère aux préfets trois principales missions. Un préfet:
- représente le gouvernement dans ses fonctions politiques et administratives.
- assure le maintien de l’ordre public.
- contrôle les actes des collectivités locales.
La fonction de représentation
Le décret précité pose (article 1):
“Le préfet de région dans la région, le préfet de département dans le département, est dépositaire de l’autorité de l’État. Ils ont la charge des intérêts nationaux et du respect des lois. Ils représentent le Premier ministre et chacun des ministres”.
Cette fonction de représentation signifie que le préfet (de région ou de département) agit au nom de l’État:
“Le préfet de région est le garant de la cohérence de l’action de l’État dans la région. Il a autorité sur les préfets de département, sauf dans les matières définies aux articles 10, 11 et 11-1. L’autorité du préfet de région sur les préfets de département ne peut être déléguée. Le préfet de région est responsable de l’exécution des politiques de l’Etat dans la région, sous réserve des compétences de l’agence régionale de santé, ainsi que de l’exécution des politiques communautaires qui relèvent de la compétence de l’Etat. A cet effet, les préfets de département prennent leurs décisions conformément aux instructions que leur adresse le préfet de région” (article 2 du décret précité).
Concrètement, le préfet :
- rend compte au gouvernement de la situation dans le département. C’est “l’œil du gouvernement”, comme au temps de Napoléon: malgré les techniques modernes de communication, le pouvoir central a toujours besoin d’un représentant local, pour connaître l’état de l’opinion sur le terrain.
- surveille le déroulement des opérations électorales. Au sens large. Ainsi, le Conseil d’État a invalidé l’élection de Jean-Paul Alduy à la mairie de Perpignan en 2008, consécutivement à une fraude électorale (des bulletins de vote en sa faveur dissimulés dans les chaussettes d’un président de bureau de vote). Le préfet des Pyrénées-Orientales, Hubert Bousiges a nommé une délégation spéciale de «sept sages» qui a alors remplacé Jean-Paul Alduy et son équipe pour administrer la ville en attendant de nouvelles élections (article L.2121-36 du code général des collectivités territoriales). Plus généralement, s’il y a urgence, le préfet peut suspendre l’activité du conseil municipal pendant un mois (article L. 2121-6 du code général des collectivités territoriales).
- met en œuvre les politiques nationales et communautaires. Par exemple, la stratégie nationale de développement durable.
- fixe le projet d’action stratégique de l’État dans le département et est compétent en matière d’aménagement du territoire.
- fixe l’organisation fonctionnelle et territoriale des services placés sous son autorité. Notamment il peut créer des pôles de compétence ou des délégations interservices.
- détient concurremment avec les conseils municipaux, le pouvoir d’initiative en matière de création de groupement de communes (depuis la loi du 12 juillet 1999).
- est l’ordonnateur secondaire des services déconcentrés des administrations civiles de l’État et donne son avis à leur projet de budget.
- est responsable de la gestion du patrimoine immobilier et des matériels des services placés sous son autorité.
La fonction de contrôle administratif
Le préfet de région exerce un contrôle administratif, c’est à dire qu’il contrôle la légalité des actes administratifs:
“Le préfet de région assure le contrôle administratif de la région, de ses établissements publics et des établissements publics inter-régionaux qui ont leur siège dans la région. Il veille à l’exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la région. Il assure également, sous réserve de dispositions particulières et de celles de l’article 33, le contrôle administratif des établissements et organismes publics de l’État dont l’activité ne dépasse pas les limites de la région” (article 4 du décret précité).
De même, le préfet de département contrôle les actes administratifs:
“Le préfet de département assure le contrôle administratif du département, des communes, des établissements publics locaux et des établissements publics interdépartementaux qui ont leur siège dans le département. Il veille à l’exercice régulier de leurs compétences par les autorités du département et des communes. Il assure également, sous réserve de dispositions particulières et de celles de l’article 33, le contrôle administratif des établissements et organismes publics de l’État dont l’activité ne dépasse pas les limites du département” (article 11 du décret précité).
Jusqu’à la loi du 2 mars 1982, le préfet exerçait un contrôle a priori. S’y est substitué depuis un contrôle a posteriori. Concrètement, le préfet dispose d’un recours contre les actes administratifs pris par les collectivités locales et qu’il juge contraire à la loi. C’est le déféré préfectoral.
Il consiste en la saisine du tribunal administratif par le préfet afin que la juridiction administrative se prononce sur la légalité d’un acte administratif. Le déféré préfectoral a ainsi pour but l’annulation d’un acte (CE, 26 juillet 1991, Commune de Sainte-Marie).
Le recours contre toutes les décisions des collectivités territoriales a été admis par le Conseil d’État (CE, 4 novembre 1994, département de la Sarthe et CE, 28 février 1997, Commune du Port) à l’exception des actes du maire exerçant en tant qu’agent de l’État et sous réserve que les actes soient administratifs (CE, 27 février 1987, Commune de Grand-Bourg de Marie-Galante contre Madame Lancelot).
Le préfet peut ainsi:
- déférer les permis de construire délivrés au nom de la commune. Il reste recevable alors même que le permis aurait été délivré après qu’a été recueilli son avis conforme (C.E.30 décembre 2002, Rémi X).
- déférer les délibérations préparatoires des collectivités locales ou de leurs établissement publics (C.E. Ass. 15 avril 1996, syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux),
- déférer les contrats (C.E. 4 novembre 1994, département de la Sarthe), même lorsqu’ils ne sont pas soumis à l’obligation de transmission (C.E.14 mars 1997, département des Alpes Maritimes).
La fonction de maintien de l’ordre public
Stricto sensu, c’est le préfet de département (par opposition au préfet de région) qui est avant tout chargé de l’ordre public:
“Le préfet de département a la charge de l’ordre public et de la sécurité des populations. Il est responsable, dans les conditions fixées par les lois et règlements relatifs à l’organisation de la défense et de la sécurité nationale, de la préparation et de l’exécution des mesures de sécurité intérieure, de sécurité civile et de sécurité économique qui concourent à la sécurité nationale. Il est tenu informé par l’autorité militaire de toutes les affaires qui peuvent avoir une importance particulière dans le département”. (article 11 du décret précité).
C’est sans doute à ce titre que le préfet est le plus souvent cité dans les média. En effet, il est chargé par exemple d’assurer les reconduites à la frontière.
Dernièrement, le préfet Bernard Fragneau s’est illustré en la matière, en démissionnant de ses fonctions, ce qui ne s’était pas vu depuis 1981 (démission de Philippe de Villiers qui ne souhaitait pas servir un président socialiste). En cause le fait qu’il ait été désavoué dans l’affaire Najlae Lhimer. Cette dernière avait fait l’objet d’un arrêté préfectoral lui enjoignant de quitter le territoire français. L’arrêté fut exécuté. Mais devant le tollé médiatique suscité, le président de la République accepta son retour.
Cette mission d’assurer la sécurité explique que sporadiquement des personnalités dont l’expérience est marquée par une carrière dans des fonctions répressives, soient nommées préfet, ainsi actuellement en Martinique, en Seine-Saint-Denis, dans l’Isère.
Le préfet maritime
Le préfet maritime se distingue du préfet de département par des attributions supplémentaires. En effet, officiers généraux de marine, les préfets maritimes représentent l’État en mer, cumulant autorité civile et militaire en tant que commandants de zone maritime.
Ils animent et coordonnent les actions de l’État en mer (maintien de l’ordre public, intérêts fondamentaux de la nation, sauvegarde des biens et des personnes). Ils disposent d’un pouvoir de police administrative générale et spéciale (police des épaves, des pollutions, des navires abandonnés).
Il existe trois préfectures maritimes (zone Manche / Pas de Calais ; zone Atlantique ; zone Méditerranée).
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