Le Parlement
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la République a consisté en une réforme d’ensemble des institutions. Elle renforce le rôle du Parlement, modifie le mode d’exercice du pouvoir exécutif et offre de nouvelles garanties démocratiques aux citoyens. Selon le compte rendu des ministres du 23 avril 2008, le texte de réforme « entend permettre l’avènement d’une démocratie plus équilibrée, sans remettre en cause les traits essentiels de la Ve République ».
La maîtrise de l’ordre du jour
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a pour première conséquence importante la réforme d’une des clefs de voûte du système législatif en vigueur depuis 1958, à savoir la maîtrise de l’ordre du jour par le pouvoir exécutif. En effet, l’article 39 dispose :
« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours ».
La loi du 15 juin 2009 renforce le pouvoir du Parlement via les propositions de loi. La loi permet une saisine du Conseil d’État, de la part du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, afin que la plus haute juridiction administrative émette un avis sur une proposition de loi :
« Le président d’une assemblée parlementaire peut saisir le Conseil d’État d’une proposition de loi déposée par un membre de cette assemblée, avant l’examen de cette proposition en commission. L’auteur de la proposition de loi, informé par le président de l’assemblée concernée de son intention de soumettre pour avis au Conseil d’État cette proposition, dispose d’un délai de cinq jours francs pour s’y opposer. L’avis du Conseil d’État est adressé au président de l’assemblée qui l’a saisi, qui le communique à l’auteur de la proposition ».
Jusqu’alors, seuls les projets de loi pouvaient (ou devaient dans certains cas) bénéficier de l’avis du Conseil d’État. En conférant cette faculté aux propositions de lois qui émanent par définition, des parlementaires, la réforme permet à ces derniers de disposer de l’avis d’une institution de poids.
Le pouvoir exécutif semble abandonner la complète maîtrise de l’ordre du jour puisqu’il ne pourra contrôler que la moitié de l’ordre du jour contre la totalité auparavant :
« Deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité, et dans l’ordre que le Gouvernement a fixé, à l’examen des textes et aux débats dont il demande l’inscription à l’ordre du jour […] Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l’ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l’initiative des groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’à celle des groupes minoritaires. Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l’article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement » (article 48).
Le texte discuté en séance est désormais issu des travaux en commission
Par ailleurs, le texte discuté en séance plénière ne sera plus le projet du Gouvernement. Ce sera le texte issu des travaux de la commission. Cette disposition (article 42) ne concernera pas les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, ainsi que les projets de révision de la Constitution. Cette disposition signifie que le gouvernement devra désormais soutenir activement son texte devant les commissions.
En cas de désaccord entre la commission et le gouvernement sur le texte proposé et consécutivement en cas d’adoption d’un texte du gouvernement réformé par la commission, il sera plus difficile pour le gouvernement de faire adopter en séance plénière un amendement pour retrouver la mouture initiale de son texte.
Un référendum organisé à l’initiative du Parlement
Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai (fixé par la loi organique), le Président de la République la soumet au référendum.
Le contrôle des opérations militaires par le Parlement
La réforme du 23 juillet 2008 a enfin renforcé le pouvoir de contrôle du Parlement en matière d’interventions armées. En effet, le gouvernement doit informer le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, « au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote » (article 35).
Cette révision est clairement inspirée du modèle américain. De 1945 à 1973, le pouvoir exécutif américain (le Président et son gouvernement, non responsables devant le pouvoir législatif car il s’agit d’un régime présidentiel) a constamment écarté le Congrès (pouvoir législatif) au moment d’engager une intervention armée (C’est par excellence le cas de la guerre au Vietnam).
En réaction, le Congrès fait voter le War Powers Act (loi sur les pouvoirs de guerre) du 7 novembre 1973. Cette disposition oblige le Président américain à informer le Congrès de toute intervention. Dans les faits, cette disposition a peu d’effets : il est difficile moralement et politiquement pour le Congrès d’interrompre une intervention en cours. La guerre en Irak depuis 2003 le démontre.
C’est ce système qui a été transposé lors de la révision constitutionnelle en France. Or la transposition est encore plus favorable à l’exécutif français : celui-ci est seulement obligé d’informer le Parlement dans les trois jours suivant une intervention, mais il n’y a pas de vote prévu, contrairement au mécanisme en vigueur aux États-Unis. Sur le plan constitutionnel, il est intéressant de constater que le Président de la République s’est inspiré du régime présidentiel américain. L’intervention au Mali (2013) montre les limites de la disposition : les parlementaires sont bien informés mais ne disposent d’aucun pouvoir.
Le Parlement peut soulever l’irrecevabilité des propositions de loi
La réforme du 23 juillet 2008 a rééquilibré le statut du Parlement par rapport au gouvernement en matière d’irrecevabilité. En effet, auparavant, seul le gouvernement pouvait soulever facultativement l’irrecevabilité d’une proposition ou d’un amendement au motif qu’ils n’appartenaient pas au domaine de la loi.
Mais il devait recueillir l’approbation du président de l’Assemblée concernée et en cas de désaccord, le Conseil constitutionnel tranchait dans les huit jours. Désormais, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat peuvent également soulever l’irrecevabilité (article 41).
Ce rééquilibrage n’apparaît pas cependant comme une innovation majeure : l’article était peu utilisé. En effet, le gouvernement disposait d’autres outils pour évacuer un texte empiétant sur son domaine réglementaire : le vote contre la disposition en question, sachant qu’il dispose d’une majorité à l’Assemblée ; le déclassement législatif après son entrée vigueur par le Conseil constitutionnel. La procédure ancienne de l’article 41 était en outre incertaine et lourde : le gouvernement pouvait être désavoué par le Conseil constitutionnel.
Qui plus est, le gouvernement pouvait avoir intérêt à conserver des dispositions de nature réglementaire dans un texte de loi afin de renforcer sa cohérence ou sa compréhension. Enfin, il est parfois difficile de distinguer ce qui ressort du domaine de la loi et du règlement. Rappelons que la loi est l’œuvre du Parlement alors que l’acte règlementaire est l’œuvre du gouvernement. C’est pourquoi le dispositif de l’article 41 n’a été utilisé qu’à onze reprises depuis 1959…
Formellement, le Parlement est donc renforcé puisque les présidents des deux chambres se voient confier un pouvoir supplémentaire. A contrario, la pratique le dira, il se pourrait que cette disposition desserve le rôle de l’opposition parlementaire : en effet, le président d’une chambre pourra désormais écarter les amendements de l’opposition s’ils contiennent une disposition réglementaire ; un filtre supplémentaire est ainsi posé. Le gouvernement n’aura même plus à prendre le risque d’un conflit avec le président de l’Assemblée concernée, puisque ce dernier effectuera « le travail » à sa place…
Vers un statut de l’opposition
La réforme du 23 juillet 2008 a mis en place les prémisses d’un « statut de l’opposition ». En effet, l’article 51-1 de la Constitution dispose :
« Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’aux groupes minoritaires ».
Une représentation élargie des Français de l’étranger
Il faut enfin noter que les Français établis hors de France seront désormais représentés « à l’Assemblée nationale et au Sénat » (article 24) alors qu’ils étaient jusqu’à présent essentiellement représentés au Sénat par le biais de l’Assemblée des Français de l’étranger.