Le gouvernement « détermine et conduit la politique de la nation » (article 20). Il est responsable devant le Parlement (cf. chapitre suivant). Pouvoir exécutif, il est compétent pour intervenir dans le domaine réglementaire (article 37 de la Constitution) mais peut s’autoriser à intervenir dans le domaine législatif (article 34) en principe domaine exclusif du Parlement, par le biais des ordonnances.
Le Premier Ministre: chef du gouvernement
La particularité de la Ve République consiste à conférer une partie des attributs du pouvoir exécutif au Premier ministre, mais pas la totalité : c’est un régime dyarchique dans lequel Premier ministre et Président de la République se partagent le pouvoir exécutif.
Nomination et cessation des fonctions
Le Premier ministre est nommé par décret du Président de la République. Celui-ci veille en pratique à ce que le Premier ministre bénéficie de la majorité au Parlement. C’est pourquoi en période de cohabitation, il est obligé de choisir une personnalité de la majorité parlementaire. En dehors des périodes de cohabitation, sa liberté est plus grande et peut se porter aussi bien sur des hommes politiques expérimentés que des personnalités de la société civile.
Le Président ne peut en principe révoquer le Premier ministre. La pratique a consacré en réalité l’usage pour le Président de pouvoir limoger à tout moment son Premier ministre en dehors des périodes de cohabitation. Par ailleurs, le Premier ministre doit présenter la démission de son gouvernement en cas de perte de confiance de l’Assemblée nationale (cf. chapitre sur le Parlement et l’article 49).
En période de cohabitation
La pratique veut qu’en période de cohabitation, par respect des résultats du suffrage universel, le Président de la République nomme le chef de la majorité parlementaire (nomination de Jacques Chirac par François Mitterrand en 1986 ; nomination de Lionel Jospin par Jacques Chirac en 1997) ou un élu choisi par cette majorité parlementaire (Édouard Balladur par François Mitterrand en 1993).
En dehors des périodes de cohabitation
En dehors des périodes de cohabitation, le Président de la République choisit le plus souvent un personnage politique de son propre camp. Ainsi, Michel Debré, ancien Résistant proche du général de Gaulle, est Premier ministre de 1959 à 1962, Georges Pompidou, ancien membre de cabinet du général de Gaulle de 1944 à 1946 est Premier ministre de 1962 à 1968 ; Maurice Couve de Murville est Premier ministre de 1968 à 1969 ; Jacques Chaban-Delmas, ancien Résistant, est Premier ministre de 1969 à 1972. Pierre Messmer, ancien membre des Forces françaises libres, est Premier ministre de 1972 à 1974. Les Premiers ministres choisis occupent d’ailleurs parfois une place tellement importante en termes politiques qu’il est préférable et logique de les nommer (Pierre Mauroy, personnage central de la fédération socialiste du Nord en 1981 ou Michel Rocard en 1988). Le Président fait rarement appel à des personnalités de la société civile (Raymond Barre en 1976).
Par ailleurs, il faut noter la règle selon laquelle les fonctions de membre du gouvernement, et partant de Premier ministre, sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle.
Attributions
Au titre de chef de gouvernement, le Premier ministre :
- Détermine et conduit la politique de la Nation.
- Dirige l’action du gouvernement.
- Rassemble la majorité parlementaire et est responsable devant le Parlement.
- Supplée, le cas échéant, le Président de la République dans la présidence de certains conseils et comités, notamment le Conseil des ministres.
- Peut saisir le Conseil constitutionnel.
- Dispose d’un pouvoir de proposition en matière de révision constitutionnelle.
- Peut demander la convocation d’une session extraordinaire du Parlement.
Il convient de noter que le Premier ministre, malgré son rang, ne peut être considéré comme un supérieur hiérarchique donnant des ordres aux autres ministres. C’est pourquoi, il est d’usage de dire que sa mission recouvre :
- Une fonction de coordination. En effet, il revient au Premier ministre de coordonner les politiques menées par différents ministères, afin d’éviter les contradictions internes.
- Une fonction d’arbitrage. De fait, c’est au Premier ministre de trancher les différends qui peuvent s’élever au sein de l’équipe gouvernementale, notamment en matière de dotation budgétaire.
Au titre de chef de l’administration, le Premier ministre :
- Dispose de l’administration et de la force armée.
- Est responsable de la Défense Nationale.
- Assure l’exécution des lois.
- Exerce un pouvoir réglementaire.
- Nomme aux emplois civils et militaires.
Le Premier ministre dispose d’un ensemble de services dont :
- Le cabinet, qui comprend une quarantaine de conseillers, en majorité des membres issus des grands corps de l’État. Sa fonction consiste notamment à préparer les projets et les arbitrages.
- Le secrétariat général du gouvernement qui comprend une quinzaine de conseillers. Sa fonction consiste à préparer les réunions interministérielles. Le Secrétaire général du gouvernement est ainsi la seule personne qui assiste au Conseil des ministres sans avoir le statut de membre du gouvernement.
- Les services rattachés dont la nature et le nombre peuvent varier au gré des gouvernements. Pour mémoire, il convient de citer la Direction générale de l’administration et de la fonction publique qui exerce une tutelle sur des écoles de formation tels que les Instituts régionaux d’administration.
Les actes du Premier Ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution.
La nature du poste de Premier ministre ne laisse pas d’inspirer les constitutionnalistes. Ce sont en effet les circonstances et la tradition qui ont défini progressivement le rôle du Premier ministre, à savoir une personne de confiance nommée par le Président de la République et chargée de mettre en application la politique du gouvernement. Ce fut le cas avec Michel Debré et Georges Pompidou.
Mais dès le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, le Premier ministre est également nommé en raison de considérations électorales (Jacques Chirac). La récompense à apporter à des chefs de partis ou de courants susceptibles d’apporter des voix au candidat explique leur nomination à ce poste et la survenance éventuelle de conflits de pouvoir (Jacques Chirac nommé en 1974 démissionne en 1976).
Le terme de dyarchie se justifie alors. Il prend également tout son sens à partir de 1986, avec l’apparition de la cohabitation qui implique un partage du pouvoir exécutif entre deux personnes de tendance politique opposée. À l’instar de la perspective du statut de Président de la République.
Un gouvernement, des ministres
Les ministres composent le gouvernement et mettent en application sa politique dans leur domaine respectif. L’existence des ministères est inhérente à toutes les formes de pouvoir depuis l’Ancien Régime, quels que soient les titres donnés à leur titulaire. L’évolution de cette institution se caractérise par une inflation de création de postes ministériels, déjà dénoncée au XIXe siècle, ainsi que par l’accroissement des compétences dévolues au gouvernement.
Nomination
Du point de vue constitutionnel, les ministres sont nommés par le Président de la République sur proposition et avec le contreseing du Premier ministre. Dans les faits, la pratique veut que le Président impose largement ses choix au Premier ministre (en dehors des périodes de cohabitation).
Composition
On distingue dans l’ordre protocolaire :
- Les ministres d’État. Ce titre est destiné à souligner la priorité accordée par le gouvernement à la mission poursuivie par ledit ministre. Il peut aussi avoir pour but de conférer une importance particulière à son détenteur.
- Les ministres.
- Les ministres délégués. Comme leur nom l’indique, c’est seulement par délégation du Premier ministre ou d’un ministre qu’ils accèdent à leur poste.
- Les secrétaires d’État. Contrairement aux ministres, ils ne peuvent participer au Conseil des ministres que si l’ordre du jour nécessite leur présence.
Le nombre de ministres et de ministères peut varier selon les gouvernements : un « gouvernement resserré » ne compte pas moins de 20 ministres, tandis que la moyenne oscille entre 30 et 40, les fins de mandats présidentiels étant souvent propices aux expansions ministérielles.
L’article 3 de l’avant-projet de loi constitutionnelle (en prévision de la réforme de 2008) prévoyait de fixer « le nombre maximum de membres du gouvernement ». À l’exception de la Constitution belge dont l’article 99 fixe le nombre maximum de ministres, aucun pays européen ne limite leur nombre. L’idée a finalement été abandonnée. Il n’existe pas de justification claire pour déterminer un nombre maximum (pourquoi 12 plutôt que 15 ?) et surtout le principal argument avancé, la stabilisation de la structure gouvernementale, ne tient pas compte de la réalité.
En effet, en fonction de l’importance des missions, de l’évolution de l’action gouvernementale, il est nécessaire de scinder des ministères, de créer des secrétariats d’État, des postes de haut-commissaire. L’étude réalisée par le Sénat en 2001 sur la question montre d’ailleurs que le problème se pose identiquement à l’étranger : en Autriche, la loi de 1986 a prétendu fixer une liste définitive de ministères et de leurs compétences ; la loi a été modifiée à dix-sept reprises depuis. Il paraît ainsi vain de vouloir réglementer le nombre de membres du gouvernement.
Les ministres sont en principe nommés au regard de leur compétence et des responsabilités qu’ils ont exercées précédemment. D’autres critères informels entrent en ligne de compte tel que leur influence électorale et la recherche de la représentation géographique des principales régions françaises. Depuis une trentaine d’années, la prédominance des hauts fonctionnaires issus de grands corps de l’État est manifeste dans les gouvernements et surtout au sein des cabinets ministériels.
Les ministères chargés des activités régaliennes ne subissent que peu de transformations, et le cas échéant il s’agit d’adjonctions de nouvelles tâches. Ce sont :
- Le ministère des Affaires étrangères.
- Le ministère de la Justice.
- Le ministère de la Défense.
- Le ministère de l’Intérieur, auquel on adjoint parfois l’aménagement du territoire.
- Le ministère de l’Économie et des Finances auquel on adjoint parfois d’autres ministères (celui du Commerce et de l’Industrie) ou que l’on scinde en deux. La taille de cette institution peut ainsi varier considérablement, mais son existence n’est jamais remise en cause.
Les ministères chargés d’activités non régaliennes font plus souvent l’objet de modifications et de rattachements à d’autres ministères. Citons par exemple :
- Le ministère des Affaires sociales, parfois réduit au seul ministère du Travail, parfois au contraire élargi à la Santé et à la Sécurité sociale.
- Le ministère de la Recherche, parfois rattaché à l’Éducation nationale, parfois autonome.
- Le ministère de l’Équipement, souvent rattaché au ministère des Transports, quelquefois au ministère du Logement mais inclus à une occasion dans le ministère de l’Environnement.
- Le ministère du Tourisme, souvent autonome, parfois rattaché au ministère du Transport.
Les services ministériels sont composés :
- Du cabinet du ministre, composé d’un directeur bénéficiant de la délégation de signature du ministre, d’un chef de cabinet chargé plus spécialement des questions protocolaires et personnelles et de chargés de missions.
- Des bureaux. Il s’agit de la structure permanente des ministères. Organisés le plus souvent sous forme de structure hiérarchique pyramidale, empruntée au modèle militaire, ils comprennent : la direction (à sa tête, le directeur d’administration centrale nommé par décret du Président de la République), les sous-directions, les services et éventuellement les sections.
Les ministres ne peuvent cumuler leur mandat avec celui de parlementaire. Cette incompatibilité s’inscrit là encore dans la logique de la rationalisation parlementaire. En effet, sous la IVe République, le cumul était permis : les ministres savaient qu’en cas de démission du gouvernement, ils pouvaient retrouver leur siège de député. Cette sécurité ne les incitait ni à une solidarité gouvernementale, ni à un soutien de ce même gouvernement en cas de désaccord avec lui. Au contraire, sous la Ve République, l’impossibilité théorique de retrouver leur siège de député en cas de démission du gouvernement est de nature à responsabiliser les ministres et à faire corps avec la ligne gouvernementale.
L’incompatibilité entre les fonctions de parlementaire et de membre du gouvernement ne prend effet qu’au terme d’un délai d’un mois après la nomination du député ou du sénateur au gouvernement. Pendant cette période, le parlementaire ne peut plus participer aux scrutins, mais il reste, au moins formellement, membre de l’assemblée où il siégeait le jour de sa nomination. Au terme du délai d’un mois, le Président de l’Assemblée nationale prend acte du remplacement du ministre par son suppléant.
Jusqu’en 2008, en cas de démission ou d’éviction du ministre, la pratique consistait souvent en ce que ce dernier, désireux de regagner son siège de député, faisait alors pression sur son ex-suppléant devenu député afin que ce dernier démissionne de son mandat parlementaire de sorte qu’il y ait élection partielle à laquelle le ministre démissionné se présentait. Ce système a été abandonné aux termes de la réforme.
En effet, la loi organique du 13 janvier 2009 prévoit désormais que le remplacement effectué par le suppléant revêt un caractère temporaire. Pendant tout le temps où le parlementaire est devenu ministre, il ne renonce pas à son siège parlementaire au profit de son suppléant : il le lui confie temporairement, à moins naturellement de démissionner et de provoquer alors une élection partielle.
En conséquence, à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions ministérielles, le membre du gouvernement retrouve son mandat parlementaire. Le système a ainsi l’avantage de supprimer l’obligation de démission de l’ex-suppléant suivie d’une élection partielle. Mais de ce fait, cette disposition amoindrit la rationalisation parlementaire : un ministre peut s’affranchir de la solidarité gouvernementale facilement puisqu’il sait qu’il retrouvera sa place de parlementaire.
Attributions
Les ministres sont chargés de mettre en œuvre la politique du gouvernement :
- Ils contresignent certains des actes du Président de la République.
- Ils contresignent certains des actes du Premier ministre.
- Ils animent et coordonnent les actions au sein de leur ministère.
- Ils représentent l’État, étant ordonnateurs principaux de celui-ci. C’est au nom de l’État qu’ils peuvent signer des actes (contrats ou décisions) ou encore ester en justice.
- Ils disposent d’un pouvoir réglementaire leur permettant de prendre toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement de leur administration.
- Ils disposent d’un pouvoir hiérarchique sur l’ensemble des agents placés sous leur autorité.
Il convient de souligner l’importance de la notion de « solidarité gouvernementale ». Elle signifie que les membres du gouvernement doivent s’associer aux décisions prises par celui-ci et s’interdisent de les remettre ouvertement en cause.
Le gouvernement est responsable devant le Parlement. Il doit ainsi démissionner lorsque ce dernier lui retire sa confiance à l’occasion de l’application des articles 49-1, 49-2 ou 49-3.