La question prioritaire de constitutionnalité
L’un des aspects plus techniques mais certainement les plus révolutionnaires de la réforme du 23 juillet 2008 est l’exception d’inconstitutionnalité, c’est-à-dire la possibilité désormais ouverte pour tout citoyen de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi à l’occasion d’une instance en cours et plus spécialement en matière de libertés fondamentales :
« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » […] « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision ».
Jusqu’à présent, une loi pour laquelle le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi, pouvait tout à fait avoir été votée, promulguée, tout en étant inconstitutionnelle. Le citoyen ne disposait d’aucun véritable recours ; le seul moyen de faire disparaître le caractère inconstitutionnel de la loi était son abrogation, moyen hors de portée d’un citoyen, puisque seul le Parlement pouvait procéder à cette abrogation. La réforme du 23 juillet 2008 aligne ainsi le régime français sur certains de ses homologues, notamment allemand, en accroissant les garanties données aux citoyens.
Historique
En effet, jusqu’en 1974, seuls le Président de la République, le Premier Ministre, les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pouvaient saisir le Conseil constitutionnel afin qu’il statue sur une loi votée au Parlement, mais pas encore promulguée (par définition) et se prononce sur son éventuelle inconstitutionnalité.
C’est en 1974 seulement que la saisine a été élargie à 60 députés ou sénateurs.
Jusqu’à 2010, le contrôle de constitutionnalité était donc un contrôle a priori, c’est à dire avant que la loi ne soit promulguée. Il était tout à fait possible d’imaginer qu’une loi contenant des dispositions inconstitutionnelles fût votée et promulguée et applicable, faute de saisine. La seule manière alors d’écarter la loi était l’abrogation de celle-ci.
L’objectif de la réforme
La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 précisée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 a introduit la possibilité de contester la compatibilité d’une loi promulguée au regard de la Constitution et de ce fait a poursuivi un triple objectif :
- Donner un droit nouveau au justiciable en lui permettant de faire valoir les droits qu’il tire de la Constitution ;
- Purger l’ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles ;
- Assurer la prééminence de la Constitution dans l’ordre interne.
Désormais, tout justiciable peut donc – sous conditions – attaquer une loi dont les dispositions lui paraîtraient inconstitutionnelles. Le justiciable peut le faire seulement à l’occasion d’un litige en cours, c’est-à-dire d’un procès, soit dès le stade de la juridiction du premier degré, soit en appel, soit enfin en cassation. Seule la Cour d’assises est exclue du dispositif.
La réforme ouvre donc plus largement la saisine du Conseil constitutionnel mais ne permet pas une saisine directe de celui-ci par le citoyen. En termes juridiques :
- Les citoyens disposent désormais d’une voie d’exception (les citoyens peuvent soulever l’inconstitutionnalité d’une loi en défense, à l’occasion d’un litige) pour contester la validité constitutionnelle d’une loi.
- Les pouvoirs exécutif et législatif conservent le monopole de la voie d’action (ils peuvent demander directement, avant promulgation, l’examen de constitutionnalité).
Le dispositif
Le décret n° 2010-148 du 18 février 2010 parachève la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 à propos de la saisine du Conseil constitutionnel.
Depuis le 1er mars 2010, tout justiciable, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction administrative comme judiciaire, peut faire valoir « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit » (article 61-1 de la Constitution).
Les conditions
La réforme constitutionnelle dispose que la QPC ne peut porter que sur « une disposition législative ». Il s’agit ainsi :
- D’une loi votée par le Parlement.
- D’une ordonnance ratifiée par le Parlement.
- D’une loi du pays de Nouvelle-Calédonie.
Sont logiquement exclus les actes administratifs qui relèvent de la compétence des juridictions administratives.
De même, la réforme dispose que cette disposition législative porte atteinte aux « droits et libertés garantis par la Constitution ». Il s’agit ainsi des droits et libertés mentionnés dans :
- La Constitution du 4 octobre 1958.
- Les textes auxquels renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, la Charte de l’environnement de 2004).
La notion de priorité
La demande du justiciable est appelée « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC).
Cette QPC doit alors être examinée « sans délai » par les juridictions de fond (le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 précise sur ce point « les modalités procédurales selon lesquelles les questions prioritaires de constitutionnalité devront être présentées par les parties et examinées par le juge »).
C’est en ce premier point que le dispositif est qualifié de question « prioritaire » : lorsqu’elle est posée, la question doit être examinée sans délai, autrement dit, le temps d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité ne doit pas retarder la procédure.
Elle est « prioritaire » en un second point à savoir que lorsque la juridiction est saisie de moyens qui contestent à la fois la constitutionnalité de la loi (question de constitutionnalité) et le défaut de conformité de cette loi aux traités et accords internationaux (exception d’inconventionnalité) la juridiction doit d’abord examiner la question de constitutionnalité.
Le sursis à statuer
Les juridictions saisies vont surseoir à statuer et transmettre la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation sous trois conditions (posées par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution) :
- La disposition contestée est applicable au litige.
- Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution.
- Elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux.
Le Conseil d’État ou la Cour de cassation (selon que le litige est soumis à la juridiction administrative ou judiciaire) sont chargés, dans un délai de trois mois, de vérifier ces conditions. Si elles sont remplies, la question doit être transmise au Conseil constitutionnel qui dispose lui-même également d’un délai de trois mois, pour se prononcer.
Si le Conseil constitutionnel juge la loi conforme à la Constitution, le procès interrompu reprend devant la juridiction de base. Dans le cas contraire, la loi est abrogée et tous les procès commencés sur cette base légale prendront fin.
Le refus d’une juridiction de transmettre une QPC
Une juridiction peut très bien estimer, au regard des conditions indiquées supra, que la demande du requérant – qui demande à la juridiction de transmettre une QPC – est infondée et rejette celle-ci. Le requérant peut-il alors contester une telle décision ?
Deux cas de figure :
- Le refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité est rendu par la juridiction de première instance ou la cour d’appel. Ce refus peut être attaqué devant la juridiction supérieure ou la juridiction de cassation seulement à l’occasion d’un recours (exemple : le requérant conteste le jugement du tribunal de grande instance ; il fait appel devant la cour d’appel et attaque notamment le refus du TGI de transmettre la QPC).
- Le refus est rendu par le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Dans ce cas, la décision de refus n’est susceptible d’aucun recours.
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