Les annales de droit public au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2019 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition en droit constitutionnel portant sur la fonction du Président de la République
- un commentaire d’arrêt portant sur les mesures d’ordre intérieur
Annales IFiP droit public 2019, Composition
Annales IFiP droit public 2019, Sujet « La fonction de Président de la République sous la Ve République »
« Tout le monde a été, est ou sera gaulliste ». Cette remarque d’André Malraux traduit l’idée selon laquelle les chefs de l’État successifs de la Ve République ont tous emprunté la voie présidentialiste tracée par le général de Gaulle dès 1958. Ce dernier fut un des principaux inspirateurs du texte qui devait remplacer la Constitution de 1946.
Dans son discours de Bayeux du 16 juin 1946, il avait défini sa conception de la fonction présidentielle, à savoir « un chef de l’État placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement et de qui procède le pouvoir exécutif ».
Les principaux ministres du dernier gouvernement de la IVe République s’accordaient aussi sur la nécessité d’un exécutif fort. Mais, contrairement au général de Gaulle, c’est le gouvernement qu’ils entendaient promouvoir dans le cadre d’un régime parlementaire.
Quant à Michel Debré, qui inspira également le texte de la Constitution de 1958, il constatait que la France était la seule de toutes les démocraties occidentales à ne pas posséder de chef de l’État digne de ce nom. Dès lors, à l’instar du général de Gaulle, il souhaitait mettre en place, dans le cadre d’un régime parlementaire rationalisé, un monarque républicain qui n’interviendrait qu’en cas de crise entre le Parlement et le gouvernement.
En fait, les ministres d’État ont très largement fait prévaloir leurs vues. Le Président décrit par la Constitution voit certes son rôle traditionnel accru. Comme le dira Michel Debré, il est la « clef de voûte » du régime. Mais il ne gouverne pas. S’il est le juge supérieur de l’intérêt national, ses interventions dans la vie politique sont exceptionnelles et correspondent à une mission d’arbitrage. La trame du régime reste parlementaire : c’est au Premier Ministre et au gouvernement de définir et de conduire la politique de la nation sous le contrôle de l’assemblée nationale devant laquelle ils sont responsables.
Pourtant, dès l’entrée en vigueur du nouveau texte, les nécessités de la conduite de la guerre d’Algérie ont faussé l’application de la Constitution de 1958. Le régime politique français va alors se caractériser par une absolue prépondérance du chef de l’État (hormis pendant les périodes de cohabitation). En même temps, le système tel qu’il fonctionne contient des éléments incontestablement parlementaires. Dès lors, on est amené à s’interroger sur la véritable nature de ce régime politique et à se demander s’il est possible de le faire entrer dans une quelconque catégorie.
Dans un premier temps, la pratique du nouveau régime va donc faire apparaître une lecture présidentialiste du régime, le président de la République transformant sa fonction d’arbitre en celle de guide (I).
Par la suite, la pratique présidentialiste de la Constitution n’est pas remise en cause à la fin du conflit algérien. Elle est même accentuée par les successeurs du général de Gaulle. Il faut en fait attendre les périodes de cohabitation pour que le Président de la République joue effectivement un rôle d’arbitre et que le régime politique français tende alors vers le parlementarisme (ll).
I. De l’arbitre au guide
La Constitution du 4 octobre 1958 ne prévoyait que des pouvoirs limités pour le chef de l’État (A). La pression des événements et la personnalité du général de Gaulle vont favoriser, dès 1958, une dérive présidentialiste (B).
A. Un chef d’État aux pouvoirs théoriquement limités
La fonction du Président est initialement celle d’un arbitre. En effet, le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le « garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ».
C’est ainsi que l’article 5 de la Constitution de 1958 définit les pouvoirs du président de la République. Son rôle s’organise autour de la fonction d’arbitrage. Il n’a pas à définir la politique du pays, ni à conduire les affaires du gouvernement. Il se tient au-dessus de la mêlée et ne possède pas la réalité du pouvoir. Il tranche, en fonction de ses conceptions personnelles, les conflits qui peuvent s’élever entre les pouvoirs.
Pour exercer cette fonction, la Constitution attribue au chef de l’État un certain nombre de pouvoirs dispensés des contreseings ministériels, et qu’il peut donc exercer en toute indépendance (article 19). Il peut notamment saisir le Conseil constitutionnel s’il a des doutes sur une loi au regard de la Constitution.
L’article 11 lui permet par ailleurs d’apprécier si un référendum (sur proposition du gouvernement) correspond à une exigence nationale. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale et demander ainsi au corps électoral de trancher un conflit entre le gouvernement et l’assemblée. Cette fonction d’arbitre est également consacrée dans l’article 16 de la Constitution.
Quoi qu’il en soit, la fonction présidentielle ainsi conçue limitait le rôle du président à celui d’un arbitre au sens sportif du terme. Néanmoins, l’article 5 de la Constitution contient une ambiguïté puisqu’il prévoit que le président est aussi le garant de l’indépendance nationale. Or, à ce titre, il semble normal qu’il prenne parti. Le général de Gaulle s’est d’ailleurs fondé sur cette disposition pour remettre en cause la conception un peu étriquée du rôle initialement prévu pour le chef de l’État. De fait, dès 1958, sous l’influence des événements politiques de l’époque et de la personnalité du général de Gaulle, on assiste à une dérive présidentialiste du régime, l’arbitre devenant guide.
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Annales IFiP droit public 2019, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit public 2019, Sujet: Conseil d’État, 14 décembre 2007
Conseil d’État
N° 290420
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Sauvé, président
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur
M. Guyomar Mattias, commissaire du gouvernement
SPINOSI, avocat
Lecture du vendredi 14 décembre 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février et 20 juin 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. Franck A, demeurant au centre de détention de Nantes, 68, boulevard Einstein à Nantes (44316) ; M. A demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler l’arrêt en date du 29 juin 2005 de la cour administrative d’appel de Nantes par lequel celle-ci a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 4 août 2004 par lequel celui-ci a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de la directrice de la maison d’arrêt de Nantes du 12 juillet 2001 le déclassant de son emploi d’auxiliaire de cuisine dans cet établissement pénitentiaire ainsi que de la décision du 15 octobre 2001 du directeur régional des services pénitentiaires rejetant son recours hiérarchique ;
2°) statuant au fond, au titre de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, d’annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 août 2004 et d’annuler la décision de la directrice de la maison d’arrêt de Nantes du 12 juillet 2001 le déclassant de son emploi d’auxiliaire de cuisine au centre de détention ainsi que la décision du 15 octobre 2001 du directeur régional des services pénitentiaires rejetant son recours hiérarchique et d’enjoindre au directeur régional de l’administration pénitentiaire de réexaminer ses droits à rémunération et à remises de peines spéciales et de communiquer la décision à venir au magistrat chargé de l’application des peines, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;
Vu la loi n° 2000-231 du 12 avril 2000 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Decout-Paolini, chargé des fonctions de Maître des Requêtes, rapporteur,
– les observations de Me Spinosi, avocat de M. A,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une décision en date du 12 juillet 2001, confirmée sur recours hiérarchique par le directeur régional des services pénitentiaires le 15 octobre 2001, la directrice de la maison d’arrêt de Nantes a, dans l’intérêt du service, déclassé M. A, alors détenu dans cet établissement, de son emploi d’auxiliaire de cuisine au service général ;
Considérant qu’aux termes de l’article D. 99 du code de procédure pénale : Les détenus, quelle que soit leur catégorie pénale, peuvent demander qu’il leur soit proposé un travail. L’inobservation par les détenus des ordres et instructions donnés pour l’exécution d’une tâche peut entraîner la mise à pied ou le déclassement de l’emploi ; qu’aux termes de l’article D. 100 du même code : Les dispositions nécessaires doivent être prises pour qu’un travail productif et suffisant pour occuper la durée normale d’une journée de travail soit fourni aux détenus ; qu’aux termes de l’article D. 101 : Le travail est procuré aux détenus compte tenu du régime pénitentiaire auquel ceux-ci sont soumis, des nécessités de bon fonctionnement des établissements ainsi que des possibilités locales d’emploi.
Dans la mesure du possible, le travail de chaque détenu est choisi en fonction non seulement de ses capacités physiques et intellectuelles, mais encore de l’influence que ce travail peut exercer sur les perspectives de sa réinsertion. Il est aussi tenu compte de sa situation familiale et de l’existence de parties civiles à indemniser (…) ; qu’aux termes de l’article D. 102 : L’organisation, les méthodes et les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre ; qu’il résulte de ces dispositions que le travail auquel les détenus peuvent prétendre constitue pour eux non seulement une source de revenus mais encore un mode de meilleure insertion dans la vie collective de l’établissement, tout en leur permettant de faire valoir des capacités de réinsertion ;
Considérant qu’ainsi, eu égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de déclassement d’emploi constitue un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; qu’il en va autrement des refus opposés à une demande d’emploi ainsi que des décisions de classement, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ; qu’en jugeant que le déclassement de M. A, du fait des circonstances particulières dans lesquelles il était intervenu et notamment du délai dans lequel l’intéressé avait été reclassé, constituait une mesure d’ordre intérieur, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, M. A est fondé à demander l’annulation de cet arrêt ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la mesure de déclassement d’emploi contestée est de nature à faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, M. A est fondé à demander l’annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande comme irrecevable ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Nantes ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la décision de déclassement de M. A, précédée par un entretien au cours duquel l’intéressé a présenté ses observations écrites, mentionne l’ensemble des circonstances qui la justifient ; qu’ainsi, les moyens tirés de son insuffisante motivation et de ce que le requérant n’a pas été mis à même de présenter préalablement ses observations doivent être écartés ; qu’il ressort des pièces du dossier que les décisions attaquées n’ont pas été signées par des autorités incompétentes ;
Considérant qu’il ressort également des pièces du dossier que le comportement de M. A, affecté aux cuisines de la maison d’arrêt de Nantes, se caractérisait, deux mois après son arrivée dans ce service, par une mauvaise volonté à accomplir les tâches qui lui étaient dévolues, en particulier s’agissant de l’aide aux autres détenus, ainsi que par le climat conflictuel qu’il entretenait par ses gestes et commentaires ; qu’en décidant, pour ces raisons, dans l’intérêt du service et non pour des motifs disciplinaires, le déclassement de l’intéressé sur le fondement de l’article D. 99 précité, la directrice de la maison d’arrêt de Nantes n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ; que, par suite, M. A n’est pas fondé à demander l’annulation des décisions attaquées ; que ses conclusions aux fins d’injonction et ses conclusions tendant à ce qu’il soit fait application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu’être également rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt en date du 29 juin 2005 de la cour d’appel administrative de Nantes est annulé.
Article 2 : Le jugement en date du 4 août 2004 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A devant le Conseil d’État est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Franck A et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Annales IFiP droit public 2019, Corrigé
Les faits
La directrice de la maison d’arrêt de Nantes décide le 12 juillet 2001, dans l’intérêt du service, de déclasser un détenu de son emploi d’auxiliaire de cuisine. Celui-ci forme un recours hiérarchique afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Ce recours est rejeté le 15 octobre 2001 par le directeur régional des services pénitentiaires. Le détenu saisit dans ces circonstances le tribunal administratif de Nantes.
La procédure
Le tribunal administratif de Nantes déboute le requérant par un jugement du 4 aout 2004 en estimant que la décision de l’Administration relève d’une mesure d’ordre intérieur. Le détenu interjette appel.
En appel, la cour administrative d’appel de Nantes a, le 29 juin 2005, confirme le jugement rendu en première instance. Le requérant forme alors un recours en cassation auprès du Conseil d’État. La Haute juridiction rejette le recours.
La question de droit
La décision de déclassement d’un détenu relève-t-elle d’une mesure d’ordre intérieur ?
La solution
Le Conseil d’État juge que le déclassement n’est pas une simple mesure d’ordre intérieur et constitue donc une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
La réduction de la catégorie juridique que représente la mesure d’ordre intérieur (I) a été permise grâce à un changement de méthode de la part du Conseil d’État (II).
I. La réduction du champ d’application des mesures d’ordre intérieur
L’enjeu du débat est le droit au recours. Les juges administratifs ont d’abord défini et commencer à réduire la notion de mesure d’ordre intérieur (A) avant de lui porter un coup presque fatal par ce présent arrêt (B).
A. La reconnaissance
La recevabilité du recours pour excès de pouvoir est subordonnée au caractère normatif de l’acte faisant grief, ce qui signifie que l’acte attaqué doit apporter une modification à l’ordonnancement juridique. Il n’est donc pas possible d’attaquer des actes qui n’ont qu’une portée indicative ou préparatoire. A priori sont donc exclus d’un recours les mesures d’ordre intérieur, les circulaires et les directives.
C’est précisément de mesure d’ordre intérieur qu’il est question dans cette décision. Les mesures d’ordre intérieur sont des textes qui régissent le bon fonctionnement et la discipline de certains services de l’État, au premier rang desquels il convient de placer l’armée, l’enseignement, les services pénitentiaires. Une mesure d’ordre intérieur consiste par exemple à déterminer l’emploi du temps des détenus (C.E. 9 juin 1978, Sieur Spire) ou à infliger une punition. Les mesures d’ordre intérieur présentent généralement trois caractéristiques :
§ Elles sont purement internes au service concerné,
§ Elles n’ont pas de conséquences juridiques sur le destinataire,
§ Elles sont discrétionnaires.
La question fondamentale consiste à s’interroger sur le contenu même de la mesure : à partir de quand peut-on considérer qu’un texte est une simple mesure d’ordre intérieur dont le caractère minime ne suffit pas à le soumettre au contrôle du juge ? À partir de quand cet acte doit-il au contraire être soumis au contrôle en raison de sa gravité ?
Le Conseil d’État a progressivement infléchi sa position pour admettre plus largement des recours contre les mesures d’ordre intérieur, qui n’en sont plus en raison de leur gravité, que ce soit en matière de règlement scolaire ou de règlement militaire (C.E., 2 novembre 1992, Kherouaa ; C.E., 17 février 1995, Marie; C.E., 17 février 1995, Hardouin).
La jurisprudence Marie a de fait réduit la catégorie des mesures d’ordre intérieur en milieu carcéral. Auparavant, les sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des détenus étaient considérées comme de simples mesures d’ordre intérieur ne pouvant, à ce titre, donner lieu à contestation devant le juge administratif. Avec l’arrêt Marie, le juge administratif commence à ouvrir la voie du recours contentieux aux détenus contre certaines sanctions disciplinaires dont ils peuvent faire l’objet (en l’espèce huit jours de cellule de punition).
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Pour aller plus loin