Les annales de droit public au concours d’inspecteur des finances publiques (IFiP) 2020 comprennent deux sujets obligatoires :
- une composition portant sur le Conseil constitutionnel
- un commentaire d’arrêt portant sur les conditions de qualification de “lanceur d’alerte”
Annales IFiP droit public 2020, Composition
Annales IFiP droit public 2020, Sujet “L’évolution du Conseil constitutionnel”
Le Conseil constitutionnel est un organe chargé de vérifier la constitutionnalité des lois et de veiller au bon déroulement des scrutins électoraux ou des référendums.
Dès 1789, la loi est présentée comme « l’expression de la volonté générale ». Cette définition s’inscrit pour les révolutionnaires en réaction aux édits royaux, formulés certes en respectant les lois fondamentales du royaume, mais pris en vertu de la volonté d’un seul. Logiquement, les fondateurs de la Ière République refusent tout contrôle de la loi, supposée être l’émanation directe de la nation, et dont la censure par une quelconque autorité constituerait une limitation de la souveraineté populaire. Une tradition républicaine tenace explique ainsi pendant presque deux siècles, l’absence notable de contrôle de la loi, quand les Constitutions étrangères, celle américaine par exemple, prévoient une Cour suprême, chargée de veiller à la constitutionnalité des lois votées.
Par ailleurs, les révolutionnaires de 1789 ont considéré qu’une Constitution devait être écrite : non par naïveté, mais par rupture avec le passé, c’est-à-dire le prétendu despotisme attaché à la monarchie. En réalité, si la monarchie française ne possédait pas de Constitution en tant que telle, des lois fondamentales telles que l’inaliénabilité de la Couronne s’appliquaient déjà et de nombreux contrepouvoirs existaient (les Parlements et l’aristocratie). S’il était inconcevable de contrôler la loi, a fortiori pour la Constitution.
Il faut donc attendre 1946 pour voir apparaître en France un Comité constitutionnel, aux attributions très limitées, dans le cadre de la IVe République. L’instabilité ministérielle de ce régime, due à la prééminence du pouvoir législatif, ne peut que conforter les Constituants de 1958 dans leur choix d’encadrer étroitement les pouvoirs du Parlement. Les fondateurs de la Ve République instaurent ainsi un rationalisme parlementaire, qui assure la supériorité du pouvoir exécutif.
Et l’une des innovations du nouveau régime en ce sens est la mise en place d’un Conseil constitutionnel, chargé de contrôler la constitutionnalité des lois, ainsi que de faire respecter strictement le principe de séparation des domaines de la loi et du règlement. Organe politique pour les uns, juridiction pour la majorité, la question relative à la nature de cette institution s’efface finalement devant l’importance qu’elle a acquise.
Au risque de la caricature, il est loisible d’affirmer que le Conseil constitutionnel est passé d’un rôle de défenseur de l’exécutif (I) à celui des libertés publiques (II).
I. D’un rôle de protecteur de la Constitution…
Le Conseil constitutionnel est chargé de faire respecter l’esprit et la lettre de la Constitution (A) ce qui passe par un contrôle des opérations électorales (B).
A. Le contrôle du respect de la Constitution… ou de l’exécutif ?
À l’origine, le Conseil est conçu comme un organe régulateur, protégeant l’exécutif : il doit empêcher l’empiètement du pouvoir législatif sur le domaine de l’exécutif et vérifier que les normes issues du Parlement sont bien compatibles avec la norme suprême. Il ne s’agirait pas que le Parlement détricote à force de lois, l’esprit de la Constitution qui accorde la prééminence à l’exécutif. La naissance du Conseil constitutionnel s’inscrit donc dans le souci d’efficacité et de rationalisme parlementaire, marque de fabrique de la Ve République.
À ce titre, le Conseil constitutionnel exerce deux principales missions.
Une activité juridictionnelle
En matière de contrôle de constitutionnalité, la saisine du Conseil constitutionnel :
- Est obligatoire pour les lois organiques et le règlement des assemblées.
- Est facultative pour les lois ordinaires et les traités internationaux.
La saisine dans le cadre d’un contrôle facultatif peut être effectuée :
- Par le Président de la République.
- Par le Premier ministre.
- Par le Président de l’Assemblée nationale.
- Par le Président du Sénat.
- Par soixante députés.
- Par soixante sénateurs.
La saisine du Conseil constitutionnel est opérée après le vote de la loi et avant sa promulgation par le Chef de l’État. Les décisions sont prises en présence de sept juges au moins. En cas de partage des voix, celle du Président est prépondérante.
Le Conseil dispose d’un mois pour statuer. Son examen porte sur toute la loi qui lui est déférée, même si quelques dispositions seulement ont été visées dans la saisine. Le Conseil peut élever des moyens nouveaux, indépendants de ceux utilisés par les auteurs de la saisine.
Au terme de son examen, le Conseil peut :
- Déclarer la loi conforme à la Constitution.
- Déclarer la loi non conforme en raison de dispositions inconstitutionnelles inséparables de l’ensemble du texte.
- Déclarer la loi partiellement conforme en raison de dispositions inconstitutionnelles séparables de l’ensemble du texte.
- Déclarer la loi conforme, avec des réserves : dans ce cas, le Conseil donne l’interprétation de la loi qui lui a été déférée et à laquelle les tribunaux devront se conformer en cas de litige.
Il faut bien noter en définitive, malgré l’extension de ses prérogatives, que le Conseil constitutionnel a pour mission de vérifier la compatibilité de la loi au regard de la Constitution, et non son opportunité.
Suite réservée à nos stagiaires…
Annales IFiP droit public 2020, Commentaire d’arrêt
Annales IFiP droit public 2020, Sujet: Conseil d’État, 31 mars 2017
Conseil d’État, 5ème – 4ème chambres réunies, 392316, 31/03/2017, mentionné dans les tables du recueil Lebon.
Références
Conseil d’État
N° 392316
ECLI:FR:CECHR:2017:392316.20170331
Mentionné dans les tables du recueil Lebon 5ème – 4ème chambres réunies
M. Charles Touboul, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats
Lecture du vendredi 31 mars 2017
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B…A… a demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler l’arrêté du 24 mars 2009 du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales prononçant sa mise à la retraite d’office, de condamner l’État à l’indemniser des préjudices résultant de cette sanction et d’enjoindre au ministre de l’intérieur de procéder à sa réintégration dans les cadres de la police nationale. Par un jugement n° 0807648/6, 0901179/6, 0902816/6, 0905530/6 du 8 décembre 2011, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 11PA05236, 12PA02551 du 18 juin 2013, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel contre ce jugement et prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux.
Par une décision n° 371396 du 30 décembre 2014, le Conseil d’État, statuant au contentieux sur le pourvoi de M. A…, a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant la même cour.
Par un arrêt n° 15PA00409 du 1er juin 2015, la cour administrative d’appel de Paris, statuant à nouveau sur l’appel de M. A… contre le jugement du 8 décembre 2011, l’a rejeté et a prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux.
Procédure devant le Conseil d’État :
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 août et 1er septembre2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, M. A… demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 1er juin 2015 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit aux conclusions qu’il a présentées devant cette cour ;
3°) de mettre à la charge de l’État le versement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. A.…
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B… A…, commandant au sein de la police nationale, s’est vu infliger la sanction de mise à la retraite d’office par arrêté du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales du 24 mars 2009 pour avoir fait usage du fichier de police dénommé « Système de traitement des infractions constatées » (STIC) pour des raisons étrangères au service ; que, par un jugement du 8 décembre 2011, le tribunal administratif de Melun a rejeté les demandes de M. A… tendant à l’annulation de cet arrêté et à la condamnation de l’État à lui verser une indemnité de 30 000 euros ; que M. A… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 1er juin 2015 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement ;
2. Considérant, en premier lieu, que la cour a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d’une part, que si la communication des deux fiches extraites du STIC à un journaliste avait été motivée pour partie par son souhait de dénoncer les dysfonctionnements de ce fichier, ces faits, connus d’un grand nombre de personnes, avaient déjà été portés à la connaissance de sa hiérarchie et du procureur de la République et étaient l’objet d’un contrôle de la commission nationale informatique et libertés et, d’autre part, que la volonté de M. A… de dénoncer publiquement les dysfonctionnements du fichier STIC ne pouvait expliquer les nombreuses consultations de ce fichier, dont il avait déclaré lui-même qu’elles avaient été effectuées à titre personnel « par curiosité » ; qu’elle a également relevé, sans dénaturer les pièces du dossier, d’une part, que M. A… a consulté ce fichier à de très nombreuses reprises pour des raisons étrangères au service et, d’autre part, a communiqué une partie des informations nominatives confidentielles ainsi recueillies et certaines des fiches imprimées à des tiers non habilités ; qu’eu égard à ces constatations, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique en jugeant que M. A… ne pouvait se prévaloir des stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertésfondamentales1 au motif qu’elles protègent la dénonciation par les agents publics de conduites ou d’actes illicites constatés sur leur lieu de travail ;
3. Considérant, en second lieu, que la cour a jugé, sans commettre d’erreur de droit, que les agissements décrits ci-dessus constituaient une violation des règles gouvernant le fonctionnement du fichier STIC ainsi qu’un manquement aux obligations de réserve et de discrétion professionnelle des fonctionnaires de police et présentaient le caractère d’une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ; qu’en jugeant que le ministre avait pu légalement prendre une mesure de mise à la retraite d’office compte tenu de la gravité des agissements en cause au regard de l’importance qui s’attache à ce que les informations enregistrées dans le STIC ne soient pas divulguées à des tiers ni utilisées à des fins autres que celles pour lesquelles ce fichier a été créé, de leur caractère réitéré, du grade et des fonctions de M. A…, qui, pendant une partie de la période où ces faits ont été commis, était chargé de recevoir les doléances de personnes relatives aux dysfonctionnements du fichier, la cour a retenu dans son appréciation du caractère adapté de la sanction une solution qui n’est pas hors de proportion avec les fautes commises par l’intéressé ;
4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. A… doit être rejeté, y comprisses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de M. A… est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B…A… et au ministre de l’intérieur.
1« Article 10 – 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Annales IFiP droit public 2020, Corrigé
Les faits
Un fonctionnaire de police a consulté à titre personnel le fichier du système de traitement des infractions constatées (STIC) à plusieurs reprises, et a communiqué à des tiers non habilités des informations confidentielles. Notamment, il a communiqué à un journaliste deux fiches extraites de ce fichier.
L’Administration le sanctionne par une mise à la retraite d’office.
La procédure
L’agent attaque la décision de l’Administration devant le tribunal administratif de Melun et lui demande d’annuler l’arrêté du 24 mars 2009 du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales qui prononce sa mise à la retraite d’office, ainsi que de condamner l’État à l’indemniser des préjudices résultant de cette sanction et d’enjoindre au ministre de l’intérieur de procéder à sa réintégration dans les cadres de la police nationale.
Le tribunal administratif déboute le requérant par son jugement en date du 8 décembre 2011. L’agent interjette appel du jugement.
La cour administrative d’appel de Paris déboute pareillement le requérant par un arrêt en date du 18 juin 2013 et prononce un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux.
Le requérant forme un premier pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, lequel, par sa décision du 30 décembre 2014, annule l’arrêt de la cour d’appel administrative et renvoie l’affaire devant la même cour.
La cour administrative d’appel de Paris, statuant de nouveau sur l’appel de M. A… contre le jugement du 8 décembre 2011, le rejette encore une fois et prononce un non-lieu à statuer sur ses conclusions tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux.
M. A. se pourvoit alors une seconde fois en cassation devant le Conseil d’État le 3 août 2015.
La question de droit
La protection des « lanceurs d’alerte » fait-elle obstacle à l’application de la loi et des obligations déontologiques ?
La solution
Le Conseil d’État rappelle que les agissements au nom d’un droit d’alerte ne sauraient justifier un manquement à la loi.
Les actes prétendument commis par l’agent public pour alerter l’opinion publique mais en désaccord avec l’application stricte de la loi et de la déontologie sont sanctionnés (I) ce qui amène à penser que le nouveau régime de protection des lanceurs d’alerte doit être relativisé (II).
Le Conseil d’État finit par rappeler que les agents publics sont soumis à des obligations (A) sous peine de sanctions (B).
Le présent arrêt rappelle tout d’abord l’existence d’obligations légales et déontologiques à la charge de tout agent public. Elles découlent de plusieurs sources.
La fonction publique est régie par différents statuts. Le statut général de la fonction publique est désormais fixé dans ses principes généraux par quatre lois :
- La loi du 13 juillet 1983 traite des droits et devoirs des fonctionnaires (des trois fonctions publiques),
- La loi du 11 janvier 1984 s’applique exclusivement à la fonction publique d’État,
- La loi du 26 janvier 1984 s’applique exclusivement à la fonction publique territoriale,
- La loi du 9 janvier 1986 s’applique exclusivement à la fonction publique hospitalière.
Par ailleurs, le statut général cohabite avec des statuts spéciaux dus aux spécificités de certaines fonctions :
- Statut spécial pour le personnel de police (loi du 28 septembre 1948),
- Statut spécial pour le personnel de l’Administration pénitentiaire (6 août 1958),
- Statut spécial pour certaines catégories de personnel de la navigation aérienne (loi du 2 juillet 1964).
Parallèlement à ces statuts, l’agent public est soumis à des principes déontologiques. Notamment, le fonctionnaire a l’obligation :
- De se consacrer à sa fonction,
- De discrétion professionnelle et de secret (C.E., 6 mars 1953, Demoiselle Faucheux),
- D’obéissance hiérarchique, mais de désobéissance en cas d’illégalité manifeste d’une décision (C.E., 10 novembre 1944, Langneur).
Même si à la date des faits, la loi du 20 avril 2016 dite « loi déontologie » n’est pas encore en vigueur, elle est déjà présente dans l’esprit dans toutes ses composantes : l’agent public est tenu aux valeurs de dignité, impartialité, intégrité, probité, neutralité (respect du principe de laïcité.
Notamment, l’agent est tenu ausecret professionnel qui peut se définir comme l’obligation faite à tout agent territorial de ne pas révéler à autrui des renseignements confidentiels recueillis dans l’exercice de ses fonctions sur des personnes ou des intérêts privés. Le but de cette règle, dont la violation est sanctionnée par le Code pénal (art. 226-13), est la protection des particuliers.
Or, l’Administration, comme les magistrats des tribunaux administratifs établissent que le requérant a trahi le secret professionnel en divulguant des informations confidentielles, à partir du fichier STIC. Le fonctionnaire est-il pour autant automatiquement fautif ?
Suite réservée à nos stagiaires…
Pour aller plus loin